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Impact de la sportification de 72 enfants de 8-9 ans sur leurs conduites motrices agressives au cours d’un jeu.
by Luc Collard, Université de Caen, APS2, EA2131, Alexandre Oboeuf, Université René Descartes, Paris 5, Sorbonne, GEPECS, EA 3625

Theme : International Journal on Violence and School, n°4, December 2007

It is said that practicing a sport is a good way to get rid of violence and that it leaves, afterwards, the participants more peaceful. During one year, we studied 72 children who had a classical school-attendance and 72 primary school pupils (8-10 years old) who practiced a sport 3 or 4 times a week. Do the latter express less aggressive behaviors than their non-practicing companions? Aggressiveness was measured using a game which did not privilege hostile nor friendly conducts at the outset, and, at the end of the year, we found that the athletic children used more tactics of intimidation and domination (p<0.01). French text.

Keywords : Agressivité motrice, catharsis, sport collectif, socialisation, sportification.
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Introduction

Le procès de civilisation nous conduit à percevoir les sports comme étant de plus en plus violents. En réalité, c’est notre seuil de sensibilité à la violence physique qui est de plus en plus bas. Toutes choses égales par ailleurs, les sports modernes sont plus doux que les jeux médiévaux. Norbert Elias (1994) va jusqu’à avancer que la sportification des pratiques corporelles participe d’une pacification des mœurs. Contrairement aux jeux peu réglementés, le sport repose sur un antagonisme de confiance où le vaincu est garant de ne pas être anéanti par le vainqueur et où le vainqueur peut jouir de son mérite sans mauvaise conscience.
Toutefois, la définition que le Code civil donne aujourd’hui de la violence fait de certains sports des situations hors la loi, théoriquement passibles de poursuites judiciaires. Le sens juridique de « violences » est : « actes par lesquels s’expriment l’agressivité et la brutalité de l’homme dirigées contre ses semblables et leur causant des lésions ou des traumatismes plus ou moins graves » ; il n’y a pas de doute : la boxe et le karaté de compétition, même moins brutaux que la soule médiévale, entrent dans cette catégorie. Les sportifs sont avec les militaires, les gendarmes et les policiers les seuls auxquels le Pouvoir central autorise le recours à la violence physique.
La régulation des affects est un garant du maintien de l’ordre social. La possibilité, si faible soit-elle, de voir les rapports humains dégénérer incite les personnes mutuellement en présence à contenir l’expression de leur hostilité, au prix d’un autocontrôle à chaque instant renouvelé.
Depuis un demi-siècle, la communauté scientifique étudie le bénéfice que pourraient accorder les pratiques ludomotrices en permettant une libération contrôlée des émotions (Neumann, 1957 ; Lüschen, 1966 ; Ryann, 1970 ; Zilmann, 1972 ; Spielmann, 1975 ; Leith, 1978). Les jeux sportifs sont les uniques enclaves dans l’espace et le temps où l’on accorde à quelques personnes le droit limité et strictement codifié de donner libre cours à leur agressivité (Elias, 1973).
L’hypothèse de l’effet cathartique du sport a donné lieu à des résultats contrastés. Certains comme Pfister (1985) concluent à l’absence de réduction du niveau d’agressivité après-sport – voire même à son augmentation. Pour leurs parts, Bushman et al. (1999), Fitch & Marshall (2000) émettent l’hypothèse d’une expression bénéfique des tensions par l’exercice physique. Nosanchuk (1981) et Lamarre & Nosanchuk (1999) avancent, eux, des résultats en faveur d’une catharsis de l’agressivité associée à la pratique d’arts martiaux privilégiant un idéal de vie et le respect de l’adversaire.
Ces derniers travaux nous invitent à distinguer : - d’une part, l’effet global de l’activité physique intense sur le drainage du trop-plein d’énergie agressive et, - d’autre part, l’influence coercitive exercée par la logique interne des pratiques sportives sur les conduites agressives des participants. Ce dernier point mérite qu’on s’y attarde. La boxe et le rugby ne mobilisent pas les mêmes ressources que le patinage mixte et n’enrichissent pas les participants des mêmes savoir-agir. Au cours de son développement sportif, le patineur apprend à renoncer à certaines de ses possibilités (frapper son binôme, se livrer à des gestes d’intimidation, etc.) au contraire du boxeur et du rugbyman dont la progression passe par l’accroissement des capacités à brutaliser leur entourage immédiat.
Ainsi, certains sports – tout en permettant une débauche énergétique conséquente – ne sont-ils pas eux-mêmes des entraînements aux manifestations de conduites agressives ? Dépourvu de toute frustration, ne faut-il pas une certaine forme d’agressivité au rugbyman ou au handballeur pour garantir le succès de son intervention ? (C’est d’ailleurs, de façon inavouée, la principale fonction du dopage dans ces sports). À l’opposé, frustrés et en proie à de violents conflits intérieurs, les patineurs mixtes ou les membres d’une équipe de natation synchronisée ne devront-ils pas redoubler de circonspection et d’autocontrôle vis-à-vis de leurs vis-à-vis ?
Lorsqu’on parlera d’agressivité dans les jeux sportifs, il ne s’agira pas de conduites déviantes relevant de frustrations où de toute forme de pathologie, mais de « conduites motrices » (« organisations signifiantes du comportement moteur », Parlebas, 1999, 74) manifestant une volonté de batailler – d’en découdre avec les opposants – limitée aux droits et interdits prescrits par les règles du jeu (Collard, 2004). Pour observer cette forme particulière d’agressivité, il sera nécessaire de décrypter par l’image les schémas d’action ainsi mis en œuvre. Afin de ne pas interférer avec l’acception psychologique du terme, nous parlerons « d’agressivité motrice » plutôt que « d’agressivité » pour désigner ces tactiques du corps intimidantes et provocatrices inscrites dans la logique du jeu. Le terme de « combativité » pourrait convenir si ce n’est qu’il agrée également à toute situation compétitive y compris les situations « psychomotrices » (sans interaction motrice pertinente). Ce ne peut être le cas de l’agressivité motrice dont la particularité est de ne pouvoir se manifester que dans l’accomplissement de situations « sociomotrices » (avec interaction motrice pertinente).


Méthode
Le jeu : laboratoire privilégié d’étude des conduites agressives

Quelle procédure utiliser pour valider l’hypothèse d’un effet cathartique ou au contraire le façonnage de conduites agressives consécutives de la pratique régulière du sport ? Un questionnaire ? Hélas, il n’y a pas forcément de rapport entre les représentations ou les affects que sont sensés exprimer les répondants et l’agressivité qu’ils pourraient effectivement manifester. Un test de laboratoire ? On peut imaginer mettre des sportifs à leur insu en demeure de riposter à des situations d’agression construites par l’expérimentateur (type machine à agresser de Buss, 1961). Mais, le caractère d’imprévisibilité de ces situations qui pourrait marcher lors d’un pré-test ne fonctionnerait plus une deuxième fois, en fin d’expérience. Et puis, si j’agis sur quelqu’un ou le fais agir à son corps défendant, j’attribue toujours à cet acte une probabilité non nulle que ce dernier riposte d’une façon ou d’une autre. Les situations mises en place en laboratoire tendent à couper ce feed-back sur lequel se base habituellement l’agressivité.
Aussi, pour mesurer sur le plan expérimental l’expression de l’agressivité, il nous semble indispensable de respecter 3 principes:
faire en sorte que les hostilités déclenchées par les sujets observés puissent se voir contrées par d’autres ;
faire en sorte que les rapports antagonistes ne soient pas les seules réponses possibles à la situation ; et
s’arranger pour que la redondance de tests ou de séries de mesure à t n’influence pas la réalisation des tests ou de séries à t+1.
Ces 3 conditions ne peuvent être respectées, à notre connaissance, que dans les jeux. Ils correspondent à un merveilleux laboratoire in vivo d’étude des conduites humaines. D’abord le jeu se donne en spectacle ce qui en permet une observation sans filet. On peut jouer à un jeu à plusieurs reprises, ce qui permet d’envisager une redondance de tests. Et les participants agressés ont rarement l’interdiction de riposter.
Notre choix s’oriente donc vers un jeu. Un jeu physique afin d’éviter l’expression virtuelle de l’agressivité. Un jeu très éloigné du sport parce que sans difficulté motrice particulière, laissant libre cours aux conduites inventives, dépourvu de système de réussite explicite, et ne survalorisant pas, par principe, les conduites d’opposition. Le jeu retenu s’appelle La balle assise : « Répartis à leur gré dans l’espace commun, les joueurs cherchent à s’emparer d’une balle vivement disputée. Ne faisant partie d’aucune équipe désignée, le participant peut, quand il possède la balle, choisir lui-même à qui il va faire la passe ou sur qui il va tirer… Le possesseur du ballon ne peut se déplacer avec la balle. Tout joueur touché de volée devient prisonnier et doit s’asseoir sur place ; il lui faut alors attendre de reprendre possession de la balle, soit par le hasard des rebonds qui la mettent à sa portée, soit par la passe amicale d’un autre joueur… Il redevient alors libre de ses mouvements… » (Schmitt, Guillemard, Marchal, Parlebas, et Parent, 1984, 38).
Dans ce jeu, toutes les relations 3 à 3 acceptent leurs contraires (relations non-équilibrées). Les adversaires de mes adversaires qui, en sports collectifs sont nécessairement mes partenaires (exclusivité), peuvent au gré de mon humeur et des opportunités, être tout autant mes adversaires (ambivalence). De plus, l’absence de système de réussite fait que le crime ne paye pas plus que la loyauté. Chaque joueur a donc l’entière liberté de choisir ses relations préférentielles (instabilité), en dehors de l’emprise incontournable d’une équipe instituée (stabilité). Dans le cadre de notre problématique, ce jeu trouve un intérêt particulièrement en phase avec les exigences imposées. La nature des interactions privilégiées par les participants témoignera de la prévalence ou non de conduites d’agressivité motrice.

L’agressivité s’exprime ici à travers les contre-communications motrices. Les tirs, bien sûr, mais aussi les phases de jeu où l’on se dispute âprement la récupération d’une balle errante (après la touche d’un camarade ou l’esquive qui la laisse poursuivre sa route), représentent les relations d’antagonisme et de domination. Ces interactions d’opposition directe ne font pas preuve d’une grande violence mais elles n’en constituent pas moins une forme réelle d’agressivité. Chacun tente ici de contrecarrer la volonté d’un ou de plusieurs autres joueurs en usant de sa capacité d’intimidation. Ne trouvera-t-on pas outrageant qu’à un appel au secours réplique un acte punitif ? Peut-on considérer pacifique une conduite hautement courtoise préparant un acte de trahison ?
À l’inverse des relations antagonistes, les communications motrices témoignent de rapports amicaux. Délivrer un camarade assis, passer la balle à un joueur mieux placé pour en toucher un troisième, représentent une preuve de confiance et de solidarité.
Quel que soit le participant, les séquences de comportements correspondant à la même signification praxique sont désignées « sous-rôles sociomoteurs » par Pierre Parlebas (1976). On peut observer 10 changements de sous-rôles attestant d’actes agressifs, dont 6 pour les joueurs libres et 4 pour les joueurs prisonniers. Sept changements de sous-rôles sociomoteurs témoignent de relations pacifiques, dont 4 pour les joueurs libres et 3 pour les joueurs prisonniers.

Le cadre de l’expérience

L’aménagement des rythmes scolaires (ARS) des enfants de l’école primaire qui a cours dans de nombreux établissements nous donne l’occasion de mettre en place des groupes expérimentaux. En effet, il s’agit pour ces jeunes scolarisés de vivre 3 à 4 fois par semaine des séquences sportives : football, ping-pong, athlétisme, hockey sur gazon, lutte… Leurs techniques du corps sont donc modelées par cet appareillage de situations sportives que ne vivent pas la plupart des autres enfants. Nous avons retenu 3 classes équilibrées en nombre de filles et de garçons, pour un total de 72 enfants (24 élèves par classe). Recrutés dans le même secteur géographique, appartenant globalement au même tissu social, de mêmes âges (8-9 ans), et répartis à l’identique quant au rapport féminin- masculin, 72 autres enfants ne bénéficiant pas de l’aménagement du temps scolaire serviront de groupes témoins. L’âge de 8-9 ans représente une étape charnière dans l’attitude des enfants face au jeu (Château, 1967). Le contrat ludique n’est pas accepté d’emblée comme chez les plus de 11 ans et il n’est pas non plus rejeté comme chez les petits de 5-6 ans (Parlebas, 1986). Ainsi, les 8-9 ans sont susceptibles d’être plus sensibles au processus de socialisation engendré par la pratique régulière du sport.

Financé par la municipalité, l’ARS fait l’objet d’un accord écrit avec les parents d’élèves concernés qui acceptent de voir leurs enfants évalués par l’Université sur différents critères (sociométrique, chronobiologique, etc.). Pour notre part, il s’agit d’utiliser un jeu dans le cadre scolaire. Il n’y a pas lieu de prendre une assurance spécifique. Les images des enfants ne sont pas divulguées et les observations respectent le critère d’anonymat.
L’expérience débute par la mise en place de l’aménagement sportif de nos 3 classes expérimentales. Pour chaque groupe, le jeu de la balle assise est expliqué de façon rigoureusement identique, puis filmé pendant 20 minutes. En fin d’année scolaire on procède à la même observation.

Résultats
En additionnant le total des changements de sous-rôles sociomoteurs à connotation hostile et ceux à tonalité amicale, on s’aperçoit qu’au moment du pré-test les groupes témoins révèlent un goût plus prononcé pour les interactions d’opposition et de domination (KHI2, p<0.05). Cela transparaît sur la Figure 1 (en hachuré gris). Il s’agit d’une différence imputable à l’échantillonnage. Les groupes sportifs partent donc a priori avec un goût pour l’adversité moins prononcé.



Figure 1 : Evolution du nombre global des relations amicales ou hostiles au jeu de la balle assise, au début (pré-test) puis en fin d’année (post-test)


On observe que le rapport entre l’évolution des conduites altruistes et l’évolution des conduites agressives est significativement (p<0.01) en faveur de ces dernières chez les sportifs. Alors que le volume interactionnel évolue de façon synchrone chez les groupes témoins (p<0.2).
La reconduction de ces calculs en fin d’année (post-test) marque le résultat des effets de la pratique sportive régulière sur les conduites sociomotrices des participants (Figure 1, zone non-hachurée). Les groupes témoins voient leur volume global d’interactions augmenter sans que l’on puisse déceler de façon significative (p<0.2) de différences de progrès entre les communications (passes, délivrances) et les contre communications motrices (tirs). Les rapports d’opposition n’ont donc pas évolué au sein des classes non-expérimentales. En revanche, chez les enfants sportifs, on observe un accroissement de +53% de la fréquence d’apparition des sous-rôles révélateurs de comportements hostiles, alors que le taux de relations solidaires baisse sensiblement. Par comparaison aux résultats du pré-test, ces différences de rapport sont hautement significatives (p<0.01).
L’analyse plus fine des changements de sous-rôles relatifs aux actes d’antagonisme révèle un phénomène insoupçonné (Figure 2). Chez les enfants sportifiés, les 243 tirs observés (tir →attente) en post-test font écho à 147 esquives (attente →esquive). Cela signifie que : 243-147= 96 tirs ont été délivrés sans que les protagonistes ne s’y attendent ou alors qu’ils s’attendaient à une passe amicale. Cela traduit des relations empathiques tronquées que l’on peut associer à des actes d’une grande cruauté symbolique. Ni en pré-test, ni chez les groupes témoins, des agissements aussi saillants ne sont observés.



Figure 2 : Nombre des changements de sous-rôles sociomoteurs témoignant de rapports hostiles.


Entre le début (pré-test) et la fin d’année (post-test), les enfants pratiquant régulièrement le sport manifestent davantage de progrès dans les conduites d’adversité.
Un autre aspect allant dans ce sens mérite d’être soulevé. Toutes populations confondues, les changements de sous-rôles : receveur →tireur, sont nettement moins fréquents que le passage récupérateur →tireur. Par exemple, lors du post-test des groupes sportifs, on constate 159 tirs suite à une récupération de balle contre 69 tirs suite à une passe. La Figure 3, nous permet à la ligne 3 de repérer le nombre total des réceptions de balles pour les joueurs libres suite à une passe et la première ligne de la Figure 2 nous renseigne sur le nombre total des balles récupérées chez ces mêmes joueurs. On observe chez les joueurs de champ que, si 53% des passes reçues se poursuivent par un tir, 72% des ballons âprement récupérés donnent lieu à un tir. Un calcul identique, mais cette fois-ci pour les joueurs prisonniers, fait apparaître 16% de tirs suite à une passe contre 75% de tir suite à une interception. Lorsque la prise en possession du ballon fait suite à un acte de contre communication (interceptions, récupérations), elle augmente la probabilité que la prochaine action soit également de nature antagoniste. Par contre, cette probabilité diminue lorsque l’action à venir fait suite à un acte pacifique (passes, délivrances). Dans l’effervescence même du jeu, l’agressivité attise l’agressivité.



Figure 3 : Nombre des changements de sous-rôles sociomoteurs témoignant de rapports amicaux.

Alors que le volume global des interactions augmente dans les deux groupes entre le début (pré-test) et la fin d’année (post-test), les enfants pratiquant régulièrement le sport voient leur taux de relations d’entraide stagner, voire légèrement baisser (330→317).
Un dernier élément attire notre curiosité. Chez les sportifs, les actes de délivrance ont tout simplement disparu lors du post-test (Figure 3, assis→receveur = 0). Les joueurs prisonniers semblent avoir été considérés hors jeu par les joueurs libres.

Discussion
La pratique régulière de sport ne conduit pas à la simple évacuation de tensions biologiques mais plutôt au renforcement des conduites induites par leur structure de fonctionnement. Les duels, ces jeux strictement compétitifs, encore appelés « jeux à 2 joueurs et à somme nulle » (Von Neumann & Morgenstern, 1944) sont le seul modèle attesté dans les sports collectifs (Parlebas, 1986).
La sportification des pratiques corporelles, en renforçant l’opposition pure et dure, en légalisant les manifestations de la violence motrice est certainement susceptible in fine de rendre ses acteurs plus combatifs que pacifiques. Les répétitions régulières et organisées d’affrontements sportifs encouragent les participants à reproduire de tels « habitus » (Mauss, 1934 ; Bandura, 1973 ; Bourdieu, 1998) dans une situation ne le nécessitant pas. La réussite sportive tient souvent à la capacité qu’ont les concurrents à induire leurs adversaires en erreur pour mieux contrecarrer leurs entreprises. Ces apprentissages façonnent de véritables « tactiques du corps » (Warnier, 1999) dont la finalité est l’élimination des plus faibles et la recherche de domination (Caillat, 2002). Les jeunes enfants expérimentés semblent avoir bien compris, mais peut-être à leur corps défendant, la logique des interactions sportives. En sport, et contrairement au jeu de la balle assise, celui qui a perdu est éliminé. En post-test, les joueurs de champ sportifiés ont de fait ignoré leurs camarades assis.
La fonction cathartique est un aspect substantiel du chapitre « La quête du plaisir » d’Elias (1994). Il pourra paraître curieux qu’un auteur ayant consacré une bonne partie de son énergie à montrer que le sport provoquait l’intériorisation des contraintes et la régulation des affects, prétende dans son dernier livre à ses vertus purificatrices. Le sport peut-il être, en même temps, un agent du façonnage social et un élément épurateur du trop-plein de ce même façonnage social ? Au regard de nos résultats, l’illustre sociologue néglige ici quelque peu l’effet coercitif de la logique interne des sports sur les conduites des joueurs. Une fois les règles mises cartes sur table, le joueur n’est plus libre de procéder, d’interagir et d’extérioriser ses affects à sa guise. Dans certains sports l’agressivité motrice est absente ; dans d’autres, bien que maîtrisée, elle est suscitée (Collard, 2004). La sportification des pratiques ludiques depuis le Moyen Âge est sans conteste le reflet d’une baisse progressive de notre tolérance à la violence. Mais, par symétrie, accorder au sport un rôle dynamique dans la réduction de la violence sociale est plus délicat.

Conclusion
Nous avons observé que la pratique régulière de sports avait éveillé chez les jeunes participants des attitudes de domination par usage de la force ou de l’intimidation. Le modèle sportif, qu’il s’agisse de la boxe ou du ping-pong, exalte l’opposition et l’élimination des plus faibles. Les conduites douces et gentilles sont rarement pertinentes dans l’univers des sports.
Parmi les nombreux intérêts éducatifs du sport – développement des qualités physiques et de certaines capacités cognitives, acceptation de règles collectivement partagées, découverte de son statut socio-affectif au sein d’un groupe, développement des capacités de décentration, etc. – il ne nous semble pas recevable d’y ranger l’atténuation de conduites agressives.



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