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2 - Violences sportives, milieux sociaux et niveaux scolaires. Distribution "socioculturelle" des formes de violence dans le champ des pratiques sportives de terrain. by Sébastion Guilbert, Equipe de recherche en sciences sociales du sport (EA 1342), Strasbourg Theme : International Journal on Violence and School, n°8, April 2009 |
La présente étude s’intéresse aux formes de violence, l’objectif étant de montrer d’une part qu’elles sont marquées au cœur même des sports et d’autre part qu’elles sont définies socialement et culturellement. Un échantillon composé de six pratiques sportives (football, karaté, tennis, volley-ball, tennis de table, basket-ball) a été constitué pour cette étude. 270 compétiteurs ont répondu à un questionnaire. Les résultats font apparaître que les formes de violence, les milieux sociaux et les niveau scolaires différent significativement selon les espaces sportifs. Une distribution « socioculturelle » des formes de violence dans le champ des pratiques sportives de terrain a été mise en évidence, marquée par deux groupes de pratiques à propriétés différenciées, prouvant ainsi que les formes de violence constituent des facteurs de différenciation particulièrement pertinents dans le champ sportif. |
Keywords : Sociology, Sports, Violences, Distribution.
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Click on the title to see the text. INTRODUCTION La violence sur les terrains d’exercice corporel ne date pas d’aujourd’hui. On sait, à la lecture des travaux de Norbert Elias (1971, 1976), que la violence était étroitement associée à l’histoire des jeux antiques. A Olympie, les bagarres, les injures, les tricheries… faisaient partie intégrante des jeux. Gagner, être le vainqueur du dromos (la course du stade), devenir le héros de la Cité… entraînaient les athlètes à recourir à toutes sortes de déviances. Le pancrace, par exemple, l’une des pratiques les plus connues et les plus brutales, offrait régulièrement des affrontements sanglants qui se terminaient souvent par des blessures graves voire des morts d’hommes. Même s’il existait des juges pour veiller au bon déroulement des épreuves, la violence se produisait, elle était tolérée, reconnue et valorisée ; son niveau était élevé et son seuil de répugnance bas : ils correspondaient tout simplement au faible niveau de développement des Cités-Etats et de sensibilité de leurs membres. Au Moyen-âge et à la Renaissance aussi, malgré les nombreuses ordonnances d’interdiction des rois, la violence continuera de s’afficher copieusement dans les pratiques physiques: soûle, tournoi, duel… (Jusserand, 1986; Mehl, 1988). En fait, il faudra attendre « Die Höfische Gesellschaft », la société de Cour (1974), et ses règles aux dix-septième et dix-huitième siècles pour constater des modifications dans les comportements, le contrôle des affects... Cette évolution d’origine anglaise aura une influence directe sur les exercices physiques puisque la création de nouvelles formes de pratiques, les gymnastiques et leurs disciplines, puis les sports et leurs règlements, à la place des formes anciennes de pratiques (le processus de sportization) conduira à l’intériorisation des normes de retenue, la généralisation de l’autocontrôle, l’euphémisation de l’exercice de la violence… corrélatives d’une pacification du monde social. Aujourd'hui, cette dynamique du processus de « civilisation des mœurs » (Elias et Dunning, 1986) semble quelque peu remise en cause et ne plus correspondre à la réalité (Basson, 2001; Bodin et al., 2006). En effet, les formes de violence, comme les atteintes contre les personnes, qui diminuaient depuis le Moyen-âge, ont augmenté dès le dernier tiers du vingtième siècle; de même de nouvelles formes de violence sont apparues en particulier d'ordre psychologique: harcèlement, défaillance morale… (Vigarello, 1998; Duret, 2001). Aussi cette étude vise à s'attacher aux formes de violence contemporaines, à tous ces actes intentionnels, autorisés ou non, qui sont perçus comme violents et qui portent atteinte à l’intégrité physique ou morale des personnes, à soi ou autrui, ou causent un dommage matériel. Sur ce point, les violences physiques (bagarres, coups, morts…), les violences verbales (insultes, menaces, injures…), les violences psychologiques (guerres des nerfs, harcèlement, défaillances morales –« dans le jargon, on dit péter les plombs »-) et les violences symboliques (tricheries, combines, corruptions, dopages…) apparaissent comme les formes de violence les plus citées et les plus répandues sur les terrains de sport (Brohm, 1993; Defrance, 2000; Bodin, 2001). Toutefois, celles-ci ne semblent pas structurées les disciplines sportives de la même manière. Aussi, et en premier lieu, l’étude cherchera à montrer l’existence de différentes formes de violence dans les espaces sportifs. Après quoi, il s’agira de voir si derrière ces différences ne se cachent pas des disparités sociales et scolaires importantes. C’est là le fond de notre problématique : les disciplines sportives aux formes de violence « dures » sont-elles négativement marquées socialement et culturellement, à l’inverse des disciplines aux formes de violence « douces » ? Il conviendra donc d’étudier la répartition des « formes de violence » entre espaces sportifs et voir si elles sont en relation avec les milieux sociaux et les niveaux scolaires de leurs pratiquants. Auparavant, il nous semble important de dire que la caractérisation des violences des espaces à partir des propriétés économiques, culturelles, sociales, techniques, corporelles… ont fait l’objet d’études dans de nombreux domaines. Dans le champ scolaire, par exemple, il a été montré que les établissements « très défavorisés » étaient plus violents que les établissements « très favorisés », et que la violence la plus brutale, la violence physique, augmentait lorsque la donne socioculturelle s'alourdissait (Debarbieux, 1999). Ailleurs, dans le champ juridique, il a été montré aussi que les pauvres étaient sur-représentés parmi les criminels contrairement aux hommes d'affaires, et que la violence à col blanc -les bagarres, les menaces, les vols…- s'opposait à la violence à col bleu -l'escroquerie, la corruption, les pots de vin…- (Katz, 1997). Ailleurs encore, dans le champ sportif, il a été montré que la violence était plus importante en lutte qu'en aïkido et que la lutte, « sport de prolo », à violence physique caractérisée et « caractérisante », s'opposait à la non-violence des « travailleurs intellectuels» de l'aïkido (Clément, 1981). Ceci étant, si de nombreux travaux se sont intéressés aux formes de violence proprement dites dans le champ des pratiques sportives de terrain, nul ne s’est tenté, a fortiori, à proposer une systématisation « des formes de violence» véhiculées sur les terrains de sport en fonction de déterminants canoniques tels le milieu social, le niveau scolaire… ce à quoi cet article se propose de répondre. Avec la pluralité et la diversité des espaces sportifs et des violences, il nous semble dès lors intéressant de voir ce que les appartenances sportives peuvent induire au niveau des représentations de la violence en sport (Bourdieu, 1979). N'occupant pas les mêmes positions sociales, culturelles, et ne s'adonnant pas aux mêmes pratiques physiques, les agents sociaux qui sont quelque part « porteurs » des propriétés des espaces auxquels ils appartiennent paraissent en mesure de produire des points de vue différenciés sur les formes de violence représentées, leur milieu social et leur niveau scolaire. Nous tenterons par conséquent d’aborder le problème à travers ce que disent les agents qui occupent les espaces sportifs. METHODOLOGIE PARTICIPANTS L’étude (Guilbert, 2000) porte sur une population masculine composée de 270 compétiteurs (26.3±5.1 ans) issus de 6 activités : le basket-ball (B), le tennis de table (TT), le karaté (K), le football (F), le tennis (T), le volley-ball (V). Ils sont 60 par discipline dans les trois premières et 30 par discipline dans les trois dernières et se clivent selon le niveau de pratique, 135 de niveau national et 135 de niveau départemental. Cette différence de quotas est le résultat de deux recherches effectuées en des temps différents, celui de DEA et celui de thèse. Plus de 84% des sportifs ont plus de 5 ans de pratique dans leur sport, c’est dire qu’ils ont une expérience du terrain et qu’ils sont à même de nous donner une image « fidèle » des formes de violence qu’ils se représentent dans leur sport. Nous les avons interrogés de la même manière sur leur identité sociale et culturelle. Ils proviennent d’une quarantaine de clubs sportifs de la Communauté urbaine de Strasbourg, ville située dans l’est de la France. PROJET Notre principal choix méthodologique est comparatiste. Ce comparatisme repose sur le principe théorique que l’on ne peut pas étudier la violence dans un sport donné indépendamment de celle des autres sports (Bourdieu, 1987). Aussi et afin de comparer les formes de violence entre pratiques sportives, il a fallu au préalable se résoudre à choisir dans le champ sportif des disciplines susceptibles de se différencier dans leur violence. Dans le domaine de la « sociologie différentielle », on sait que de nombreuses études en sociologie du sport ont proposé des typologies de disciplines sportives en fonction de leurs spécificités motrices ou de leurs propriétés sociales (Lüschen, 1962 ; Parlebas, 1986 ; Pociello et al., 1981). En se référant à chacune d’elles, et dans le dessein de construire notre propre « système des violences sportives », nous avons choisi d’investir un corpus de pratiques composé de trois sports collectifs, d’un sport de combat et de deux sports de raquette. A la différence des méthodes d’observation directe et « archivale » (Pfister et al., 1987 ; Varca, 1980 ; Volkamer, 1971), cette étude repose sur une méthode d’observation indirecte. Si le but est de montrer que les formes de violence différent dans les disciplines sportives, il ne s’agit pas de l’atteindre en expérimentant directement les types de violence des sportifs. L’objectif consiste à accéder à la « vérité » de la violence en interrogeant l’histoire et le vécu des agents, c’est-à-dire en s’attachant aux discours des sportifs sur ce qu’ils disent représenter comme formes de violence dans leur sport, tel est le fond de notre méthodologie. De la même manière, nous n’avons ni fait appel au ministère de l’emploi ni à celui de l’éducation nationale pour connaître l’origine sociale et le niveau scolaire des agents, nous nous sommes appuyés sur leurs points de vue pour les identifier. Objectiver la violence des sports et les propriétés sociales et culturelles des pratiquants à travers le discours de ces derniers nous semble un projet possible car selon Bourdieu (1979) les agents ne rentrent dans les espaces sportifs que s’ils en ont les propriétés. INSTRUMENT En vue de garantir la confidentialité sur un thème souvent jugé « tabou », la violence, et pas toujours facile à exposer oralement, un questionnaire anonyme a été passé aux enquêtés. Composé de 92 questions correspondant à 93 variables, le questionnaire construit et pré testé comprenait 5 groupes d'indicateurs: le premier groupe visait à objectiver la violence des espaces sportifs, le second à objectiver l'influence des enjeux sur la violence en sport, le troisième à objectiver la violence des pratiquants, le quatrième à objectiver l'influence des propriétés morphologiques sur la violence et enfin le cinquième à objectiver l'influence des propriétés « identitaires » sur la violence. Dans la perspective de mettre en relation la violence des sports et les propriétés sociales et culturelles des pratiquants, nous avons porté l’attention sur les indicateurs du questionnaire correspondant à chacun d’eux. Comprenant certes des indicateurs secondaires tels le rapport à l’accident, à la réglementation, la sécurité… qui sont des phénomènes connexes à la violence, le questionnaire se structurait autour d’un indicateur principal, objet de cette étude, les formes de violence, lesquelles étaient censées rendre compte de la nature ou du statut de la violence représentée dans les espaces sportifs. Pour les indicateurs visant à connaître l’identité sociale et culturelle des pratiquants, en référence aux travaux de Debarbieux (1999), nous avons choisi comme marqueur social, le milieu social d’appartenance déterminé par la CSP et comme marqueur culturel, le niveau scolaire déterminé par le niveau de diplôme. A partir de ces indicateurs, il nous semble dès lors possible de construire une « typologie » (ou une « distribution ») des violences sportives en fonction des milieux sociaux et niveaux scolaires. PROCEDURE STATISTIQUE Les données récoltées sur les lieux de pratique des compétiteurs ont fait l’objet d’un traitement statistique avec le logiciel SPADN (système portable d'analyse des données numériques). Elles ont été analysées sous forme de tris croisés et d'analyse factorielle des correspondances multiples avec méthode de classification. La première procédure « TABLE » visait à produire des tableaux croisant entre elles des variables nominales ou variables codées de manière à vérifier l’existence ou non de différences significatives. La seconde procédure « CORMU » visait à projeter sur un plan factoriel l’ensemble les résultats des tris croisés de manière à visualiser la diversité de l’échantillon et de faire émerger à partir d’une méthode de classification automatique (le nombre de groupes constitués est défini a posteriori afin d’optimiser l’homogénéité intragroupe et la différenciation intergroupe) une structure cohérente. RESULTATS A l’image des sociologues qui traitent des formes manifestes de violence plutôt que de la violence comme telle, nous avons cherché à accéder aux violences des espaces sportifs de manière indirecte par le biais de leurs formes. Nous avons posé aux compétiteurs la question suivante: « Comment vous représentez-vous les principales formes de violence dans votre sport? » Les résultats (Cf. Tableau 1) montrent la précellence d’une perception de la violence dans les sports étudiés : 97,4% des compétiteurs dénoncent en l’effet l’existence de violences dans leur sport contre seulement 2,6% des autres sportifs. Globalement, s’observe une distribution plutôt équitable des pourcentages sur trois types de violence: verbal (35,6%), physique (30%) et psychologique (26,3%). Les injures, les menaces, les bagarres, les coups illicites, les défaillances nerveuses -dans le jargon on dit péter les plombs- apparaissent donc comme les principales formes de violence représentées sur les terrains de sport à l'inverse des tricheries (5,6%) et de la non-violence (2,6%). Au-delà de cette distribution plutôt équitable des pourcentages entre les principales formes de violence traduisant non seulement leur importance en sport mais aussi la pertinence du choix des pratiques sportives échantillonnées, le croisement des sports avec les formes de violence révèle des différences très significatives dans les réponses des compétiteurs toutes disciplines confondues (P=0.000). L’analyse brute des données révèle premièrement que les violences physiques et verbales sont structurantes au basket-ball et au football, deuxièmement que le karaté est marqué par les violences physiques, et troisièmement que les violences verbales et psychologiques déterminent le tennis de table, le tennis et le volley-ball. A côté de ces différences, force est de constater encore des variations entre sports de proximité: les violences physiques apparaissent plus représentées au football qu'au basket-ball, à l'inverse des violences verbales; de même les violences verbales semblent plus représentées au tennis de table et volley-ball qu'au tennis, a contrario des violences psychologiques. De cette analyse, on peut donc en conclure que les appartenances sportives produisent des représentations différenciées et collectives sur les formes de violence. Les espaces sportifs génèrent ainsi des « identités » aux violences dans lesquelles les agents s’y retrouvent et en s’exprimant ils expriment la cohérence des espaces aux violences. Dans l’hypothèse qu’il existe une relation significative entre les formes de violence différenciées et les propriétés sociales des pratiquants, nous avons ensuite cherché à approcher leurs milieux sociaux d’origine à partir d’une question ouverte demandant aux compétiteurs leur situation socioprofessionnelle. Le dépouillement des réponses (Cf. Tableau 2) a montré tout d’abord un fait important : les étudiants-lycéens constituent une catégorie importante dans les sports étudiés avec 34,8%. Viennent ensuite les défavorisés et très défavorisés (employés, ouvriers, sans profession) avec 33%, puis les moyens (techniciens, cadres moyens), favorisés et très favorisés (professions libérales, cadres supérieures) avec 20,4%. Enfin, il faut ajouter que 11,8% des compétiteurs n'ont pas répondu à cette question, la considérant trop personnelle et indiscrète. Au vu de ces résultats, on peut déjà en déduire, d'une part que la compétition sportive est davantage un produit scolaire et d'autre part que le public est plus « populaire » que « distingué » dans notre échantillon de pratiques et de pratiquants. Malgré la part non négligeable des étudiants dans les sports échantillonnés, le croisement des sports avec les milieux sociaux d’origine montre des différences significatives (P=0.005). Alors qu’ils sont 50% des compétiteurs à être lycéens-étudiants au volley-ball, basket-ball et tennis, moins d'un tiers le sont au karaté, tennis de table et football. Les « cornes de dispersion » dans les trois premiers sports montre un recrutement social plus favorable au tennis (moyens/favorisés: 33%) qu'au basket-ball et volley-ball (moyens/défavorisés: 30 et 26,7%). Quant aux trois derniers sports, si le football et le karaté apparaissent davantage marqués par un recrutement populaire (défavorisés/ très défavorisés: 53 et 45%), le tennis de table apparaît s’en détacher de par la présence de moyens et de favorisés (30%). A la lecture de ces différences, et même si elles apportent des informations intéressantes, la prudence se doit d’être de rigueur compte tenu, rappelons-le, du nombre d’étudiants représentés dans l’échantillon. Aussi, pour éviter toute erreur d’interprétation et améliorer nos résultats, les pratiquants ont été questionnés sur leur niveau scolaire. Nous leurs avons posé la question suivante : « Quel est le diplôme le plus élevé que vous ayez obtenu dans votre cursus scolaire ? » Sur cette question, les résultats montrent que les compétiteurs toutes disciplines confondues sont près de 70% à être nantis de diplômes, du Baccalauréat à Bac +4, +5, contre moins d'un tiers des compétiteurs sans diplôme ou inférieur au baccalauréat. Les sportifs de l’échantillon possèdent donc un certain niveau d'instruction. Mais là encore, derrière ce fort pourcentage, il existe probablement des différences importantes selon les sports. En effet, le croisement des sports avec les niveaux scolaires montre des différences significatives (P=0.006). C'est au football et au karaté que le « capital scolaire » apparaît le plus faible comparativement aux autres sports: plus de 40% des footballeurs et karatékas sont sans diplôme ou d’un niveau inférieur au baccalauréat contre moins d'un tiers des pratiquants de volley-ball, basket-ball, tennis et tennis de table. Dans ces quatre disciplines, les bacheliers et Bacs + 2, + 3, apparaissent majoritaires. On notera que les plus diplômés, Bac + 4, + 5, sont davantage représentés dans les sports de filet, notamment au volley-ball et tennis. Au terme de ces analyses, et dans le but de synthétiser nos résultats, une analyse typologique par le biais d’une analyse factorielle des correspondances multiples avec méthode de classification a été réalisée. Cette analyse a permis de mettre en évidence d’une part une distribution des sports en fonction des formes de violence, des milieux sociaux d’origine et des niveaux scolaires et d’autre part l’existence de deux classes présentant une homogénéité forte dans chacune d’elles et une différenciation forte entre chacune d’elles (Cf. Figure 1). En ce qui concerne la distribution différenciée des sports, l’analyse factorielle montre de droite à gauche du facteur 1, et dans l’ordre, la répartition suivante : les sports très défavorisés à dominante « violences physiques » (football et karaté), les sports « défavorisés/intermédiaires » à « violences verbales » (basket-ball et volley-ball) et les sports « intermédiaires/favorisés » à « violences mentales » (tennis de table, tennis). L'ensemble de ces résultats semble donc montrer que l’inégalité à la violence est liée à l'inégalité sociale et culturelle dans le champ sportif. Au-delà de cette distribution, une rupture entre deux classes de pratiques a été constatée : CLASSE 1: LES SPORTS « A VIOLENCES DURES », SOCIALEMENT ET CULTURELLEMENT « PAUVRES » (55,9%) Ce groupe se caractérise par la présence du « football », du « karaté », du « basket-ball », des « violences physiques », des pratiquants issus de milieux sociaux « défavorisés » voire « très défavorisés », marqués par « l’absence ou peu de diplômes scolaires ». Il s'agit, on le sait, de sports d'équipe et d'un sport de combat qui impliquent ou imposent le contact direct. Au football et au basket-ball, si le but n'est pas le corps de l'adversaire, la conquête du ballon entraîne souvent des coups illicites, des violences physiques... (Fontani, 1989; Pfister, 1985, 1987; Lassalle, 1997 ; Schneider et Eitzen, 1983). De même, au karaté, si la logique praxique consiste à porter des coups, il n'est pas rare que des coups incontrôlés produisent des incidents physiquement violents: KO, fractures… (Pain, 1993; Reynes et Lorant, 2004). A l’évidence, les violences « dures » perçues dans ces sports peuvent s'expliquer par des propriétés techniques comme la communication directe entre les adversaires, ce qui correspond à la perspective de Parlebas (1986), mais nos résultats montrent aussi la connivence entre les sports de cette classe, leurs « violences dures » et la « pauvreté » des propriétés sociales et culturelles de leurs pratiquants. Force est donc de reconnaître, même si l’on sait que notre échantillon de pratiquants reste faible en nombre, que nos résultats vont dans le sens de ceux des vastes enquêtes réalisées sur « l’habitus et l’espace des styles de vie », « le système des sports », qui ont été menés dans les années soixante-dix, quatre-vingt, par Pierre Bourdieu (1979) et Christian Pociello (1981). Tous deux ont montré en effet que les pratiquants de ces sports de contact étaient dotés des propriétés de leurs espaces d’appartenance, c’est-à-dire dotés des dispositions les plus typiquement populaires: culte de la virilité, usage des qualités physiques « naturelles » (force et rapidité…), goût de la bagarre, de la violence physique, du combat d’homme à homme, dureté au « contact », résistance à la douleur, sens de la solidarité, de la fête, refus de la culture cultivée, de la violence « noble », de la violence symbolique… CLASSE 2: LES SPORTS A « VIOLENCES DOUCES », SOCIALEMENT ET CULTURELLEMENT « RICHES » (44,1%) Ce groupe se caractérise par la présence du « volley-ball », du « tennis », du « tennis de table », « des violences mentales », « symboliques » (la non violence), des pratiquants issus de milieux sociaux « moyens », « favorisés » et possédant des niveaux scolaires « élevés », Bac +4, +5. Au sein de ce groupe ne se trouvent que des sports marqués par la séparation totale des adversaires par un filet qui interdit concrètement tout contact direct avec les adversaires (Méry, 2008). Le filet s’instaure donc comme une « barrière » culturelle et sociale à la « violence dure » des sports précédents. Rien à voir avec la violence qui meurtrit les corps. La violence dans les sports de filet est une « violence distante », une « violence douce », une « violence mentale » ou « morale », qui meurtrit l’esprit. De nombreux spécialistes et sociologues qui ont étudié ces disciplines, Molodzoff (1995), Pfister et Sabatier (1987), Suaud (1989), Waser (1989) pour ne citer qu’eux, ont montré que le psychologique ou le mental y jouait un rôle très important. Sur les terrains, il n'est pas rare en effet de voir des pongistes, des tennisman, des volleyeurs craquaient nerveusement, s'énervaient violemment contre les adversaires, eux-mêmes ou leurs partenaires, exécutaient par énervement ou impatience des coups de force inconsidérées et injustifiées, fracassaient leur raquette au sol, donnaient un coup dans les séparations, le filet, de rage lorsqu'ils perdent un point. Là encore, si des propriétés techniques telles que la présence d'un filet, la maîtrise d'un instrument, de l’espace, l'absence de contre communication, le système de points en vigueur (Parlebas, 1986)… peuvent expliquer les « violences mentales » des sports de ce groupe, on sait aussi que « les traits qu’aperçoit et apprécie le goût dominant se trouvent réunis dans des sports à échange social hautement policé, excluant toute violence physique, tout usage anomique du corps et surtout toute espèce de contact direct entre les adversaires » (Bourdieu, 1979, 239). Rien d’étonnant alors à ce qu’il y ait plus de violence « douce », « distante », « policée », « édulcorée », « symbolique », de « non violence » représentée dans les sports de filet. Toutefois, ce n’est pas parce que la violence paraît plus « douce », qu’il faut pour autant la minimiser. Les résultats montrent que ce sont des sports déterminés par des « violences mentales », « cérébrales », et que ces dernières sont en étroite relation avec les propriétés sociales et culturelles « riches », « élevées » de leurs pratiquants. La présence de violences « d’esprit », « de tête» dans les sports de filet semble donc indiquer que plus l'on va vers les pratiques «ultra techniques et instrumentées», plus les formes de violence prennent de la hauteur, touchent au psychisme, s'intellectualisent. DISCUSSION Après avoir émis les résultats de son étude, le scientifique se doit de revenir sur ce qui vient d’être produit et de discuter de ses résultats. Trois points seront ici abordés : les points forts et les limites à caractère méthodologique de l’étude, l’objectivation des violences et des propriétés socioculturelles dans les espaces sportifs par les agents, et la manière de poser le problème. En ce qui concerne les points forts de l’étude, les résultats montrent l’existence d’une possible distribution « socioculturelle » des violences sportives. Composée de deux classes de pratiques à propriétés différenciées, cette distribution fait clairement apparaître des « parentés » : entre les sports de contact, les « violences dures », la « pauvreté » sociale et culturelle de leurs pratiquants, entre les sports distants, les « violences douces », la « richesse » sociale et culturelle de leurs compétiteurs, ainsi que les « oppositions » entre ceux qui font du tennis, et ceux qui font du karaté, entre ceux qui font du football et ceux qui font du volley-ball… Ces résultats révèlent ainsi que le sport et ses violences, loin de réduire les inégalités, contribue à les « reproduire ». A l’heure où l’on parle de changements, de démocratisation des sports, les résultats de cette étude sont donc paradoxales : ils montrent d’une part que l’inégalité aux formes de violence est liée à l’inégalité sociale et scolaire dans le champ sportif et d’autre part qu’une certaine « homologie » s’observe avec les résultats d’anciennes enquêtes qui se sont intéressées aux violences sportives comme instruments de légitimation des inégalités sociales et culturelles (Bourdieu, 1979; Mauger et Fossé-Poliak, 1983; Pociello et al., 1981). D’un autre côté, les résultats montrent que « les violences verbales » sont les formes de violence les plus représentées toutes disciplines confondues. Pourtant, au vu de l’analyse, elles n’apparaissent pas prépondérantes dans le clivage des disciplines sportives à l’inverse des violences physiques et des violences mentales ou morales. En fait, il semble que les violences verbales se positionnent en propriétés « intermédiaires » entre les violences mentales et les violences physiques dans la distribution, en ce sens qu’il n’est pas rare qu’une bagarre s’accompagne d’injures et qu’une défaillance nerveuse (dans le jargon on dit « péter les plombs ») s’accompagne d’insultes (Pfister, 1987; Suaud, 1989). En outre, la distribution semble aussi cachée des divisions internes aux violences entre sports de proximité. Par exemple, dans la première classe, si le noyau dur est formé par les violences physiques, les violences verbales, qui ne sont pas représentées, clivent les sports collectifs (football, basket-ball) des sports de combat (ici le karaté). L’une des raisons principales de ce manque se trouve probablement dans la question de départ. Construite exclusivement à partir des principales formes de violence perçues dans les espaces sportifs, la typologie ne tient pas compte des violences « secondaires » alors qu’elles sont susceptibles de discriminer les sports d’un même groupe. Cette distribution est donc à percevoir comme une formalisation, provisoire et imparfaite, mais néanmoins commode pour rendre compte de l’univers des violences sportives, des propriétés socioculturelles qui les définissent, et pour prémunir les sportifs des violences qui peuvent survenir dans l’exercice de telle ou telle pratique et dont ils n’ont pas forcément conscience. Elle a l’avantage aussi de cibler les principales formes de violence des disciplines sportives et donc d’instruire sur les conséquences différenciées de la violence dans le champ sportif : « les violences mentales » au tennis conduiront certainement plus ses adeptes dans un centre psychiatrique, alors que « les violences physiques » au football et au karaté conduiront davantage ses pratiquants dans un centre de rééducation fonctionnelle. Faire cette différence, c’est donc se positionner différemment dans l’action éducative, curative, pour traiter la violence dans le champ des pratiques sportives compétitives. Par ailleurs, si les disciplines sportives choisies pour cette étude ont conduit à la réalisation d’une distribution, elles restent toutefois limitées en nombre et ne couvrent pas l'ensemble des « familles » sportives. A ce sujet, on peut regretter de ne pas y voir figurer des disciplines motorisées, des disciplines esthétiques ou encore des disciplines de pleine nature. De même, nous n’avons pas « joué » sur la variation des modalités de pratiques ; or, entre les sports à « modalité organisée » et les sports « à modalité libre » (Pociello et al., 1981) ou entre « les sports de compétition » et « les sports de rue » (Mauger et Fossé-Poliak, 1983; Vieille-Marchiset, 1999) les formes de violence, leur niveau, et les propriétés socioculturelles qui les définissent peuvent considérablement variées. Enfin, le point le plus regrettable sans doute, c'est que l'échantillon interrogé ne porte que sur les sportifs compétiteurs « masculins » et « leurs propriétés sociales et culturelles », il ne tient pas compte de la gent féminine ni des propriétés socioculturelles des parents, qui ici auraient pu être utiles. La distribution présentée ne peut donc être que provisoire, imparfaite et à compléter dans les registres pré-cités. En ce qui concerne le deuxième point, l’objectivation des propriétés d’espaces par les agents, il se pose la question de savoir si l’on peut réellement objectiver les violences et ses propriétés qui les définissent (milieux sociaux, niveaux scolaires) dans les espaces sportifs à travers ce qu’en disent les agents qui s’y trouvent à l’intérieur. En se référant au « structuralisme génétique », Bourdieu (1979) prétend que les agents sociaux ne rentrent dans les espaces que s’ils en ont les propriétés. Ainsi, ceux qui ne possèdent pas les dispositions sociales, culturelles aux violences physiques ne pourront jamais accéder à des sports « durs » comme le karaté, le football, à l’inverse ceux qui les disposeront pourront non seulement y entrer, s’imposer, et par là même fournir une image représentative des propriétés de leur espace d’appartenance. Quant à la prise en compte des discours des agents, elle permet aussi de gommer les lacunes explicatives de modèles théoriques purement techniques. Si l’on se fie au modèle de Parlebas (1986), le basket-ball est en théorie une discipline sans contact direct donc sans violences physiques possibles ; or la réalité apparaît tout autre, puisque nous avons vu que les violences perçues et structurantes de ce sport sont physiques. Autant dire que le recours aux représentations paraît dans ce cas plus judicieux pour matérialiser les violences des espaces sportifs. Enfin, la manière de poser le problème se doit d'être questionnée. Doit-on considérer, comme nous l'avons fait, le sport comme un « système » avec des variations de propriétés, de violence via leurs formes, en relation avec d’autres propriétés, sociales, culturelles… selon les disciplines sportives ? Cette perspective relationnelle et comparative nous est apparue comme l’une des solutions les plus opportunes pour traiter des violences sportives, car selon Bourdieu (1979), les violences dans un sport donné ne peuvent s’expliquer et se comprendre indépendamment de celles des autres sports d’une part car elles ne prennent sens que par rapport à la totalité du système, et d’autre part indépendamment des autres propriétés qui les définissent (sociales, culturelles…). Il s’agit là d’une manière de voir les choses, mais on aurait très bien pu poser le problème autrement en considérant par exemple que chaque sport a son identité propre et ses propres violences, et qu’elles ne peuvent se comprendre et s’expliquer qu’à travers lui. De même, au lieu de faire comme si les formes de violence étaient limitées à un espace défini et organisé, le sport de compétition, une autre perspective d’approche consisterait à les analyser en relation avec d’autres espaces culturels, comme le système scolaire par exemple. En posant le problème ainsi, probablement découvririons-nous aussi des disparités et des similitudes entre « espaces » aux violences en fonction de la nature des sports, des types d’établissements scolaires considérés (Debarbieux, 1999). CONCLUSION Dans cette recherche, nous avons montré l’existence d’une distribution « socioculturelle » des formes de violences dans le champ des pratiques sportives de terrain. Le « milieu social d’origine », le « niveau scolaire » apparaissent donc comme des déterminants significatifs dans la définition et l’explication des formes de violence en sport. L’autre point, sur lequel nous aimerions conclure : les résultats ont montré la diversité des formes de violence dans le champ sportif, or il apparaît trop souvent encore que l’on résume la violence en sport à sa seule dimension physique. L’intérêt de cette recherche aura donc permis aussi de montrer que la violence n’est pas réservé à certains sports mais qu’il s’agit d’un phénomène plus global touchant aussi bien des sports collectifs, des sports de combat que des sports individuels. |
Bibliography
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Read also
> Summary
> 1 - Pour une approche contextuelle de la violence. Le rôle du climat d'école.
> 3 - Réflexions phénoménologiques sur le sens de la violence scolaire au Chili.
> 4 - A meta-synthesis fo completed qualitative research on learners' experience of aggression in secondary schools in South Africa.
> 5 - Managing and handling indiscipline in schools. A research project.
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