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Les representations de la responsabilité sportive et quotidienne d'adolescents sportifs institutionnalisés
by Thierry Long, Nathalie Pantaleon et Lionel Faccienda, Université de Nice – Sophia-Antipolis, Laboratoire S2RS, « Sport, Représentations et Régulations Sociales » (JE 2442),


Theme : International Journal on Violence and School, n°5, April 2008

La pratique sportive institutionnalisée (« de club ») est souvent présentée comme un lieu de socialisation à part entière où les jeunes participants peuvent faire l’apprentissage de la responsabilité. Mais de quel type de responsabilité s’agit-il ? Cette étude s’est appuyée sur une méthodologie qualitative basée sur des entretiens auprès d’adolescents sportifs. Les résultats montrent que cette population avance des représentations fonctionnelles de la responsabilité tournées vers la performance, parfois violentes, et comprenant peu d’éléments d’ordre moral. Ces résultats sont interprétés au regard de la socialisation sportive qu’ils connaissent, à savoir une socialisation basée sur l’institutionnalisation.

Keywords : institutionnalisation, responsabilité, instrumentalisation.
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INTRODUCTION
La pratique sportive fédérale est considérée comme l’instance de socialisation de la jeunesse par excellence. Elle est censée faciliter l’acquisition et le respect des règles du jeu, des règles interpersonnelles, et des lois. Elle est ainsi censée responsabiliser les pratiquants qui s’y adonnent. Le postulat de départ réside dans la croyance en la socialisation sportive comme un processus de formation adapté aux attentes sociales futures. Il est ainsi fait un transfert implicite entre le bon sportif et un bon citoyen. Dans cette perspective, les instances politiques l’utilisent souvent comme outil éducatif. L’illustration la plus récente de cette idée transparaît à travers la proclamation, sous l’impulsion de la Commission européenne, de l’année 2004 comme l’année européenne de l’éducation par le sport. Cette initiative s’inscrit dans le prolongement de la charte internationale de l'éducation physique et du sport qui a été éditée par l’U.N.E.S.C.O., à Paris, le 21 novembre 1978. Celle-ci met l’accent sur le caractère universel et fondamental du sport. En préambule, cette charte souligne que le sport contribue « à un développement complet et harmonieux de l’être humain ». Par la suite, il est mentionné que le sport encourage les rapprochements entre les pays ainsi que « l’émulation désintéressée, la solidarité et la fraternité, le respect et la compréhension mutuels, la reconnaissance de l’intégrité et la dignité des êtres humains ». Cette charte est renforcée par la charte olympique qui rappelle en ces termes les principes fondamentaux de l’olympisme : « L’Olympisme est une philosophie de vie, exaltant et combinant en un ensemble équilibré les qualités du corps, de la volonté et de l’esprit (…). L’Olympisme se veut créateur d’un style de vie fondé sur la joie de l’effort, la valeur éducative du bon exemple et le respect des principes éthiques fondamentaux universels. » (alinéa 1, p.9, 2004).
Or, la conception du sport comme « modèle social » est souvent bafouée. Affaires de corruption et de dopage, actes de violence, incivilité, et tricheries sont des pratiques courantes dans le sport de compétition. Ces derniers temps n’ont malheureusement fait que confirmer ces dérives, en particulier dans le football (bagarres générales sur les terrains professionnels sans même parler des rixes et des meurtres commis parmi les supporters) et dans le cyclisme (où le Tour de France 2007 n’a plus compté ses rebondissements en terme de coureurs dopés).
Il semble y avoir là une contradiction entre d’une part des croyances positives envers le mouvement sportif et d’autre part une réalité moins reluisante.
Notre étude a pour but de dépasser ces discours en s’intéressant aux points de vue des acteurs sportifs eux-mêmes. Elle s’attachera plus précisément à souligner les manières dont les adolescents sportifs se représentent la notion de responsabilité, à la fois dans leur pratique sportive et dans leur vie quotidienne. Aussi, cette étude analysera les influences d’un groupe d’appartenance, le mouvement sportif institutionnalisé (fédéral et compétitif), sur ses membres. Ce travail mettra ainsi en exergue les caractéristiques de la socialisation sportive et les impacts qu’elles peuvent avoir sur la socialisation globale des jeunes individus.

CADRE CONCEPTUEL DE LA RECHERCHE
CONCEPT DE RESPONSABILITE.

Dans l’objectif de mener une étude qualitative sur le sens que revêt cette notion chez les individus, nous nous devons de faire un détour par les domaines philosophique et historique afin de nourrir les données sociologiques. En effet, bien que la responsabilité soit la valeur la plus avancée en terme d’objectif social pour la jeunesse actuelle (Ford, Wentzel, Wood, Stevens, et Siesfeld,1989), elle reste une notion équivoque qui touche de nombreux domaines, allant des domaines juridique, moral, politique, jusqu'au domaine philosophique. Etymologiquement, la notion de responsabilité fait référence à l’engagement intrinsèquement motivé par une volonté individuelle : « il s’agit toujours de répondre de ses actes ou décisions et de leurs conséquences devant l’autre » (Etchegoyen, 1999, 129).
A partir de cette définition, la responsabilité sera ici envisagée selon deux modalités principales. La première d’entre elles est la modalité rétroactive ou rétrospective ; elle correspond à la capacité d’un individu de se déclarer comme l’initiateur d’une situation, de la justifier et d’en assumer ses conséquences. Historiquement, Charbonneau (2001) avance que cet aspect provient initialement du droit mais qu’il s’est progressivement déplacé vers des dimensions identitaire et civique. Ainsi, l'étude de Gaudet (2005) met en exergue que le «répondre de soi » est un « processus réflexif » d'où émergent trois aspects principaux : «l'affirmation de ses valeurs, le contrôle de ses émotions, et la prise de confiance en soi » (Gaudet, 2005, 38). D’autre part, la responsabilité rétroacitve envisagée du point de vue moral est plus propice à la responsabilisation civique de l’individu (notamment du jeune en difficulté) que du point de vue juridique. Il lui permet de resituer son acte au-delà des mécanismes de défense qu’il peut utiliser pour limiter la sanction à venir (Vaillant, 1995). Pour Métayer (2001, 20), la modalité répondre de est ainsi « pré-morale ou infra-morale. »
La seconde modalité renvoie à la responsabilité vis-à-vis d’autrui ; elle fait tout d’abord référence à l’engagement d’un individu vis-à-vis d’autres individus à travers un contrat explicite (éducatif, scolaire, politique, sportif, etc.) ; en d’autres termes, il s’agit d’une situation où un individu a d’autres personnes sous sa responsabilité. Elle fait ensuite référence à la responsabilité d’autrui (Levinas, 1971) qui renvoie à la considération qu’un individu doit « naturellement » avoir pour son prochain pour de « simples » raisons existentielles ; pas forcément pour des raisons morales ou religieuses. Comme le souligne Schlegel (2000, 18), «Être homme, c'est être responsable du prochain avant même qu'il me sollicite ». Etchegoyen (op. cit. 131) poursuit : « Levinas a remarquablement développé cette idée avec sa thématique du visage de l'autre. La responsabilité consiste bien à envisager. Mais pour envisager, il faut aussi dévisager. Car l'autre n'est pas unique, car l'autre n'est pas seul. » Comme l’exprime en d’autres termes Gilligan (citée par Gaudet, 2001, 77), dévisager autrui, c’est comprendre sa sensibilité, c’est-à-dire tenter d’être en empathie avec lui. De plus, outre d'être en partie tournée vers autrui, la responsabilité se nourrit de l'échange avec autrui, que ce soit par l'intermédiaire de conseils, d'encouragements, ou de confrontations d'idées. Ce processus «invite à toujours sortir de soi, à circuler, à connaître tous ces autres qu'on peut ignorer en restant prisonnier d'une fonction, d'une classe, ou d'un lieu » (Etchegoyen, op. cit. 135). Il permet d'appréhender d'autres perspectives et finalement, d'autres visions des choses susceptibles d'infléchir ou de conforter une position. Il crée par là même du lien social c’est-à-dire une « interdépendance entre sujets ayant une histoire, des aspirations et des besoins singuliers » (Gaudet, 2001, 77).

RESPONSABILITE ET PRATIQUE SPORTIVE

Les études scientifiques investissant la thématique sport et responsabilité sont peu nombreuses. Elles utilisent souvent une conception réduite (rétroactive) du concept de responsabilité et l’appréhendent principalement comme une compétence sociale à développer à travers la pratique sportive, l’éducation physique et sportive en particulier.
Ces études se présentent régulièrement sous forme de programmes dont le but est d’améliorer le « sentiment de responsabilité » de jeunes individus. De manière générale, ces études reposent sur la mise en place de phases de jeu libre, autogéré (Watson, 1986), de renforcements positifs de la part d’autrui significatif, d’espaces de discussion et de débat (Hellison & Walsh, 2002), et sur la tenue de différents rôles de la part des acteurs (Siedentop, cité par Rees, 2001, p. 56). Les résultats font ressortir que l’aménagement d’espaces auto-gérés par les pratiquants eux-mêmes (élèves ou jeunes sportifs) et/ou la tenue de différents rôles dans la régulation sportive (cf Rees, 2001, pour une revue de littérature complète à ce sujet) améliorent leur « sentiment de responsabilité ».
Par exemple, Watson (1986) a proposé de comparer deux groupes de jeunes hockeyeurs (10-12 ans). Un groupe connaissait un programme classique et compétitif calqué sur le modèle adulte (« club ») tandis que l’autre groupe rencontrait un programme davantage basé sur la coopération, la maîtrise de la tâche et des récompenses intrinsèques à l’activité, grâce à la mise en place de phases de jeu libre notamment. L’appui théorique de ce programme reposait sur la nécessité d’ouverture du mouvement sportif à d’autres fins que la performance et l’investissement d’une structure que Watson (1986) décrit comme un système fermé (comme nous allons le préciser dans le paragraphe suivant). Il s’appuie aussi sur le fait que les effets de la socialisation sont d’autant plus significatifs pour l’individu si celui-ci se sent libre de construire et de négocier lui-même la régulation sociale à l’intérieur de la sphère sportive. Il propose ainsi une « théorie de la motivation sociale » (Watson, 1986, 5) qui repose sur l’importance dans le jeu, du plaisir, de l’amusement, de la coopération (ou encore de la réciprocité selon Piaget – 1932 -) et de la maîtrise de la tâche. De manière globale, les résultats montrent que les sujets du programme proposé deviennent sensibles aux différents aspects de la motivation sociale qui viennent d’être décrits tandis que les enfants du programme sportif classique deviennent plutôt sensibles « aux éléments sportifs du jeu – c’est-à-dire aux caractéristiques institutionnalisées - » (Watson, op. cit. 22). Fort de ces résultats, l’auteur encourage ainsi à continuer d’élaborer des programmes sportifs basés sur des aspects éducatifs et sociaux, en rappelant que les expériences que vit l’enfant dans son jeune âge jouent un rôle capital dans la détermination de ses futures valeurs d’adulte. On va essayer d’y contribuer mais pas avant d’avoir bien établi le contexte de notre investigation : la pratique sportive institutionnalisée.

DESCRIPTION DU CONTEXTE DE PRATIQUE SPORTIVE INSTITUTIONNALISE ET DE SES IMPACTS MORAUX


Le contexte sportif compétitif est un contexte de pratique structuré d’ordre institutionnel. Il en présente ainsi les principaux éléments organisationnels, à savoir l’existence d’une hiérarchie pyramidale et d’une répartition sectorielle des tâches de chacun de ses acteurs, caractéristique des sociétés industrielles basées sur l’interdépendance fonctionnelle des individus. En particulier, le rôle des sportifs est d’être performant dans un cadre réglementaire formel. En effet, une fois sur le terrain (et même hors du terrain), les joueurs sont impuissants vis-à-vis de la régulation sportive. Le pouvoir de décision et la responsabilité morale reposent sur les arbitres, les entraîneurs, et les dirigeants (Bredemeier & Shields, 1986). Defrance (2001) note dans la structure du mouvement sportif une prépondérance du modèle du travail des sociétés industrielles. Spécialité et rationalité sont deux principes de régulations importants. C’est ainsi que chaque étage de cette structure appelle des personnes et des compétences différentes. Defrance (1995, 89) soutient par exemple que « les postes de direction comme de présidence sont fréquemment occupés par des capitaines d’industrie, des patrons de l’artisanat et du commerce, ou des responsables de la chose politique », sans oublier de rajouter que le CIO nomme ses membres par cooptation. Aussi, malgré que l’Association Sportive soit souvent présentée comme un lieu clé de la socialisation (par l’apprentissage de la participation démocratique, etc.), les sportifs y participent pourtant très peu : il y a bien longtemps (depuis les origines du sport moderne si l’on se réfère à Bruant -1992-) que la gestion de leur pratique a échappé aux sportifs, qui n’ont désormais plus qu’à être performants dans un contexte hétéronome.
A partir de ce contexte, Shields et Bredemeier (2001) ont établi une théorie du raisonnement du jeu qui met en avant le rapport particulier qu’ont les jeunes sportifs en situation compétitive à l’égard des règles du jeu. Cette théorie souligne que le contexte du sport entraîne un raisonnement moral centré sur l’égocentrisme, signe général d’immaturité. Le respect ou les transgressions de règles ne sont en effet abordés qu’en relation avec l’avantage ou le désavantage qu’ils présentent pour l’équipe. La compétition semble être l’explication principale de cette modification. Elle pose en effet comme principe la recherche du gain personnel. Le raisonnement moral des sportifs s’inscrit ainsi dans une logique de victoire à tout prix (Arnold, 1997) où « la fin justifie les moyens ». Elle laisse peu de place à la considération des désirs, des objectifs ou des besoins de l’adversaire. C’est un espace déconscientisé dans lequel Kleiber et Roberts (1981) notent une inhibition des conduites pro-sociales et où le comportement est dicté par les règles du jeu. Dans ce sens, la réciprocité structure peu les raisonnements moraux sur le terrain. Le cadre rigide (règles, arbitrage, entraînement, etc.) de la pratique fédérale est également avancé comme facteur favorisant une déresponsabilisation morale.
Parallèlement à ce positionnement égocentrique à l’égard de la règle du jeu, les sportifs défendent l’idée d’un sport pur basé sur le fair-play, la passion et la solidarité. Cette ambiguïté les conduit à tenir un raisonnement cynique par rapport à leurs comportements transgressifs sur le terrain (Long, Pantaléon, & Bruant, 2003). Ainsi, aussi contradictoire que cela puisse paraître, ce qui apparaît également dans la manière de penser des sportifs est un raisonnement moral articulant violences, fautes, exclusion et valeurs du sport. Il est ainsi surprenant de noter comment les sportifs associent allègrement transgression de règle et dépassement de soi, simulation de faute et intelligence de jeu, violence envers l’adversaire et esprit d’équipe, blessures et victoire ; les déviations morales sont légitimées au nom de la défense des valeurs du sport.
Reprenons une à une ces associations quelque peu surprenantes au prime abord :
- transgressions de règles et dépassement de soi (les fautes sont justifiées par le sens de l’effort et de l’engagement) ;
- simulation de faute et intelligence de jeu (les simulations de faute ne sont pas interprétées comme des déviations morales mais comme des signes d’expertise stratégique);
- violence envers l’adversaire et esprit d’équipe (rééquilibrage d’une faute d’arbitrage ; En rugby, c’est une fierté d’être craint. Cette réputation semble devenir une stratégie et sert « positivement » l’amour du maillot, si cher à l’idéologie sportive et aux discours officiels. Cette instrumentalisation de la violence colle aux travaux d’Arnold (1997) sur l’importance de la victoire et en particulier des moyens pour y accéder, qui sont largement intégrés chez la population sportive. Arnold (1997) titre un des paragraphes de son ouvrage : « The syndrome of winning at all costs ». Ce syndrome prend toute sa dimension avec des sujets insérés dans la pratique compétitive depuis de nombreuses années.) ;
- blessures et victoire (jouer volontairement sur la blessure d’un adversaire et donc l’aggraver peut mener à la victoire ; d’autre part, certaines consignes d’entraîneur peuvent s’orienter sur la « maltraitance » répétée sur un joueur adverse clé afin de le sortir du terrain)…

Etre fair-play n’est pas associé à commettre le moins de fautes possibles mais à s’excuser après les avoir commises, en bon chevalier (« tu peux lui faire mal si tu t’excuses après », étant sous entendu que si tu fais du sport, c’est que tu es apte à prendre des coups). Le raisonnement moral tourne ainsi régulièrement à ce que l’on a nommé « cynisme moral ». Il semble cohabiter deux mondes représentationnels distincts: le monde des valeurs du sport du début du siècle et celui des exigences du sport de compétition lié au rendement et au professionnalisme.
Par conséquent, dans la mesure où les fautes s’expliquent par l’engagement du sujet dans le jeu et qu’elles sont jugées normales et naturelles, les individus sont « disculpabilisés ». Le contexte sportif semble ainsi immuniser les individus de toute responsabilité personnelle. Nous touchons ici aux mécanismes de désengagement moral mis en évidence, dans la vie quotidienne, par Bandura, Barbaranelli, Caprara & Pastorelli (1996) et dans le contexte sportif, par Long, Pantaléon, Bruant, et d’Arripe-Longueville (2006). En effet, dans cette étude menée sur de jeunes sportifs de haut niveau âgés de 15 à 18 ans, il s’avère que ces derniers ont recours aux mécanismes de désengagement moral pour justifier leurs conduites, en particulier les conduites transgressives. Ils déplacent ainsi la responsabilité de ces conduites à d’autres agents du milieu sportif (en particulier aux arbitres, entraîneurs, et autres sportifs). Ils ont également recours à la justification morale, mécanisme qui consiste à transformer une conduite transgressive en une conduite acceptable moralement en la mettant au service d’objets louables socialement (les fautes sont alors associées au sens de l’effort, les bagarres à la défense d’un coéquipier, c’est-à-dire à l’esprit d’équipe, etc.). Enfin, les sportifs peuvent décrédibiliser certains joueurs. Pour ne pas avoir de sentiment de culpabilité, l’individu perçoit sa victime sans qualité. Ce type de raisonnement touche aux mécanismes de déshumanisation ou d’attribution de blâme.
A l’issue de cette revue de littérature, quatre remarques principales émergent. Tout d’abord, dépassée le cadre scolaire, la pratique sportive a jusqu’à présent fait l’objet de peu d’études au regard de la responsabilité qui y est associée et développée. Ensuite, ces études ne se sont que trop peu appuyées sur la richesse théorique de ce concept : elles ne se sont que trop souvent focalisées sur la responsabilité associée aux conduites transgressives, c’est-à-dire qu’elles n’ont considéré la responsabilité qu’au sens de culpabilité (à savoir dans sa modalité rétrospective). Enfin, elles se sont peu intéressées aux points de vue des acteurs, les pratiquants eux-mêmes. Elles poursuivent un objectif fonctionnel dont la conception de la responsabilité est posée a priori par les instances scientifique et sociale (Charbonneau, 2001).
Notre étude s’intéresse aux points de vue des acteurs eux-mêmes. Elle vise à analyser les relations qui existent entre leur contexte de pratique sportive et leurs représentations du concept de responsabilité. Elle suggère que les facteurs contextuels en matière de régulation réglementaire jouent un rôle dans l’élaboration des représentations de la responsabilité sportive chez les adolescents.

METHODE
PARTICIPANTS

L’échantillon de participants consiste en un groupe de 18 adolescents sportifs âgés de 15 à 18 ans (M = 16.78 ans, SD = 1.06). La prise en compte d’individus appartenant à cette tranche d’âge réside dans le fait que les adolescents sont tout d’abord particulièrement perméables aux influences extérieures, en particulier de la part de leurs groupes d’appartenance, et qu’ils connaissent un mouvement d’intensification de leur construction identitaire (Reymond-Rivier, 1980). Ensuite, durant cette période, de nombreux événements viennent parfois bouleverser ou renforcer les représentations antérieures (Percheron, 1991). En outre, ces jeunes-adultes permettent aux chercheurs d’avoir accès aux fruits de leur socialisation enfantine et, par là, aux facteurs entrant en jeu dans ce processus.
Les adolescents ayant pris part à notre étude pratiquent le sport de manière fédérale et compétitive depuis 5 à 10 ans (M = 7.3 ans, SD = 2.1). Ils jouent au football (15 d’entre eux) ou au basket-ball (trois d’entre eux). Ces sports ont été choisis pour leur niveau d’interaction physique moyen : les travaux passés ont montré que la participation excessive à ces sports est associée à des niveaux bas de fonctionnement moral (Bredemeier, Shields, Weiss, & Cooper, 1986; Conroy, Silva, Newcomer, Walker, & Johnson, 2001; Kavussanu & Ntounamis, 2003).

PROCEDURE

Guide d’entretien.

La méthode utilisée pour cette étude qualitative a été l'entretien semi-directif. Le guide d'entretien a été élaboré au regard de la problématique (analyser les caractéristiques des représentations de la responsabilité des adolescents sportifs institutionnalisés) et de la revue de littérature. Il comprend ainsi deux parties « distinctes » se référant à chacun des domaines investis, à savoir le domaine sportif et le domaine de la vie quotidienne. Chacune de ces parties est elle-même subdivisée selon trois thèmes. Tout d’abord, une première série de questions s’intéresse aux représentations générales de la responsabilité afin de toucher sans l’induire ce que cette notion signifie pour les participants. Elle contient des questions du type : qu’est-ce qu’un joueur responsable pour toi ? (pour le domaine sportif) et qu’est-ce qu’un individu responsable ? (pour le domaine de la vie quotidienne). Le guide s’oriente ensuite sur ce que nous avons nommé les responsabilités juridique et politique et qui se réfèrent à la responsabilité individuelle sous sa notion d’engagement (Charbonneau, 2001). En ce qui concerne l’investissement de la responsabilité juridique (ou réglementaire pour le sport), le guide s’appuie sur des questions du type : le joueur est-il responsable de la bonne application des règles du jeu ? ou l’individu est-il responsable de la bonne application des lois ? Du point de vue de l’investigation de la responsabilité politique, les questions utilisées sont du type : les joueurs sont-ils responsables de la manière dont les règles du jeu évoluent ? ou les individus sont-ils responsables dont les lois évoluent ? ou encore est-ce que l’individu a une responsabilité vis-à-vis de la société ? Enfin, le guide d’entretien se terminait par une question ouverte permettant au participant de s’éloigner, s’il le désirait, du cadre que nous venions de lui proposer : Est-ce que tu voudrais rajouter quelque chose ou est-ce tu veux parler de quelque chose qu’on a pas eu l’occasion d’aborder ? Tout au long des entretiens, les relances étaient effectuées afin de permettre aux participants de se référer à des situations sportives et quotidiennes spécifiques et vécues pour étayer et justifier leur discours.
 
Interviewer et procédure de l’entretien
Les entretiens ont été réalisés après obtention des accords parentaux et personnels. Chaque entretien durait environ une demi heure et se déroulait de manière individuelle. Il débutait par une présentation du cadre de l’enquête et du thème de la recherche. Celle-ci était décrite comme une étude sur les opinions des adolescents sportifs au sujet de la notion de responsabilité. Le principe d’anonymat était rappelé. Il était également rappelé à chaque participant qu’il n’y avait ni bonnes, ni mauvaises réponses et que c’était leur opinion qui était attendue et importante. Après avoir obtenu l’accord d’enregistrer l’entretien, celui-ci débutait. L’ensemble des entretiens a par la suite été intégralement retranscrit.

Analyse des données
Les données textuelles ont été analysées de manière thématique. L’analyse thématique consiste en un « comptage d’un ou de plusieurs thèmes ou items de significations dans une unité de codage préalablement déterminée » (Bardin, 1996, 77). Elle permet d’identifier des composantes (ou unités de sens) abordées par le participant dans chaque réponse. Les composantes ont été regroupées en sous-catégories, catégories, et thèmes indépendants et construits en fonction de la problématique dans un souci d’exhaustivité.
Cette analyse a principalement été inductive (Patton, 1990; Tesch, 1990). Des sous-thèmes étaient tout d’abord établis en fonction des unités de sens relevés dans les discours (e.g., obéissance). Ces sous-thèmes étaient ensuite regroupés en thèmes en relation avec les domaines de régulation convoqués (e.g., responsabilité vis-à-vis de l’arbitrage). Enfin, les thèmes étaient catégorisés en fonction des principales modalités du concept de responsabilité issues de la revue de littérature (e.g., responsabilité d’autrui).
La crédibilité de cette analyse thématique provient de la triangulation qui consiste en un codage indépendant des discours par trois chercheurs, en une comparaison des résultats obtenus et une discussion jusqu’à ce qu’un consensus soit atteint.

RESULTATS
Les résultats de notre étude font ressortir de nombreuses correspondances entre les représentations de la responsabilité sportive et celles de la responsabilité quotidienne (comme rapportées dans le tableau). Nous allons ici les mettre en lumière.

Eléments de correspondance

D’une manière générale, la responsabilité est surtout perçue par les adolescents sportifs institutionnalisés à travers les acteurs qu’elle convoque par rapport à leurs fonctions. Ainsi, quel que soit le domaine de la dynamique juridico-réglementaire concerné, l’accent est mis sur les personnes en charge de ce domaine.
Ainsi et en premier lieu, l’application des règles et des lois revient respectivement aux arbitres et aux policiers. Dans le domaine sportif, l’arbitrage est intégralement entre les mains des arbitres. La responsabilité des joueurs résident dans leur capacité à accepter leurs décisions de manière inconditionnelle et sans contestations, comme le montre l’extrait suivant d’un joueur de basket-ball : « Quand c’est sifflé, c’est sifflé. On se replace et puis c’est tout ! » De même, dans la vie quotidienne, ce groupe d’adolescents projette majoritairement la responsabilité de la bonne application des lois sur les policiers, « qui sont là pour ça », comme le précise un joueur de football. Si l’individu doit s’impliquer d’une quelconque façon dans la bonne application des lois, c’est uniquement en montrant l’exemple c’est-à-dire en respectant lui-même les lois.
En cas de fautes (ou de transgressions), la responsabilité individuelle se place sur deux plans. Tout d’abord, les fautes peuvent être attribuées à un manque de contrôle dû à un sentiment d’injustice ou à un énervement quelconque. Dans la vie quotidienne, cela peut prendre la forme d’une vengeance due à une décision judiciaire considérée comme injuste. Cette attitude se retrouve également dans le monde sportif en cas de décisions arbitrales injustes où le sportif n’a pas d’autres moyens réglementaires que de se faire justice lui-même. Ensuite, les adolescents de ce groupe attribuent les fautes et les transgressions de lois à la recherche d’avantages individuels : soit pour prendre l’avantage en sport, soit pour des raisons de bénéfices personnels dans la vie de tous les jours. En sport, les adolescents traduisent cette idée par les responsabilités tactiques qu’ils ont (par rapport à leur poste –défenseur, attaquant, ailier, etc.-, à leur statut –capitaine, etc.-, etc.). Cette dernière responsabilité désengage déjà l’individu puisqu’elle est au service du collectif (du moins en sport). Elle introduit ainsi l’ensemble des attributions « extra-individuelles » des fautes commises. Elles concernent les enjeux importants auxquels ont à faire face les sportifs et les citoyens ainsi qu’à une sorte de banalisation des transgressions actuellement, comme l’illustrent les extraits suivants de joueurs de football :

De toute façon, aujourd’hui, tout le monde cherche à contourner les lois pour en profiter (pour la vie quotidienne) ;

Des tirages de maillots, dans le foot, tout le monde le fait ; c’est un peu obligé de le faire (pour le sport).

Enfin, les sportifs institutionnalisés attribuent également les fautes ou les transgressions à des éléments extérieurs comme la pression (des supporters, de l’entraîneur ou de certaines personnes de l’entourage dans la vie de tous les jours) ou l’éducation.
En troisième lieu, les adolescents sportifs institutionnalisés attendent de leur entourage qui leur transmettent les règles et les lois ; aussi bien leur proche entourage (entraîneurs, parents, etc.) que leur environnement plus large (les médias, le système scolaire, etc.). Ils n’estiment pas avoir la responsabilité de faire part de leurs connaissances dans ce domaine à leurs pairs car ils protègent leurs intérêts (par exemple, l’intérêt de rester titulaire en sport). Aussi, la principale raison de l’importance de la transmission et de la connaissance des règles et des lois réside dans le fait de pouvoir agir avec plus d’efficacité dans un environnement donné. Cette idée rejoint celle qui consiste à utiliser les règles et les lois à son propre avantage, à ses propres fins.
Enfin, l’évolution des règles et des lois est respectivement l’affaire des arbitres, entraîneurs, dirigeants du mouvement sportif, et du gouvernement. Que ce soit dans le domaine sportif ou quotidien, les adolescents estiment que ce n’est pas de leur responsabilité de construire ou de modifier les lois ou les règles du jeu. Dans ce domaine, leur seule responsabilité réside dans le fait que leurs comportements, notamment les comportements transgressifs, seront pris en compte par les autorités pour légiférer. En sport par exemple, cela se traduit par des modifications de règles dues à des jeux aux limites et parfois dangereux de la part des joueurs, comme l’exprime ce joueur de basket-ball :

Avant, on avait le droit de prendre la balle et de la protéger avec les coudes mais, maintenant, on n’a plus le droit de se retourner et tout, de faire exprès de mettre le coude dans la tête de l’autre. Les gens ont jugé que c’était trop dangereux.

Cette attitude de non remise en question des règles sportives provient d’un conditionnement débuté très tôt dans la carrière (socialisation) sportive comme l’illustrent ces deux extraits issus des entretiens de deux joueurs de football (qui sont loin d’être des cas isolés) :

Moi, j’ai jamais entendu parler d’amélioration des règles. Je me rappelle plus. De toute façon, on n’est pas concerné ;

Les joueurs n’ont pas à changer les règles. Ils n’ont rien à dire sur un terrain en fait. Depuis tout petit, on nous a dit « taisez-vous » ; on joue le ballon et puis c’est tout.

Les représentations de la responsabilité sont par conséquent très parcellisées en un système hiérarchisé semblant hermétique. Elles sont en outre associées à des éléments fonctionnels dans certains domaines. Ainsi, les individus sont responsables de la transmission des règles et des lois pour que les plus jeunes d’entre eux puissent définir les tâches qu’ils auront à réaliser, plus communément connues sous le nom de « devoirs ». Ces devoirs se cristallisent dans le devoir de résultat qui est « responsable » des transgressions. La responsabilité individuelle des transgressions, elle, tient de la non maîtrise émotionnelle face à une injustice ou à une frustration par rapport à cette quête de résultat. Finalement, dans cette conception de la responsabilité, la responsabilité individuelle se limite au respect des règles et des lois, ce qui ne semble pas choses aisées au vue des enjeux, au sens large du terme, ainsi qu’à la vue des domaines à améliorer.

DISCUSSION
Notre étude a pour objectif la mise en relation des représentations de la responsabilité sportive et quotidienne de la part de sportifs institutionnalisés avec leur contexte de pratique.
La discussion va ainsi consister à analyser les représentations de la responsabilité des adolescents sportifs. Elle s’attachera à développer trois points : la description des représentations, les analogies ou différences éventuelles avec les apports scientifiques et philosophiques, et les explications contextuelles de tel ou tel type de représentations.

LES REPRESENTATIONS DE LA RESPONSABILITE DES ADOLESCENTS SPORTIFS INSTITUTIONNALISES : AUTOUR D’UNE RESPONSABILITE FONCTIONNELLE

La description de leurs représentations

Pour les adolescents sportifs institutionnalisés, être responsable, c’est respecter les règles et les lois d’une manière inconditionnelle. Si jamais il arrive une transgression, l’idée n’est pas de réparer ou de s’excuser c’est-à-dire d’assumer ses actes (ce qui placerait la responsabilité dans le domaine moral) mais au contraire, de faire en sorte que la peine encourue soit minimale, voire inexistante. C’est la conception du « pas vu, pas pris » qui est à l’œuvre. Ce type de représentations fait référence à la responsabilité rétrospective considérée sous l’angle juridique. Il se définit en terme de ce qui est permis, défendu, et pénalisé. Il entraîne une conception négative de la responsabilité c’est-à-dire une responsabilité uniquement entendue sous le sens de la culpabilité dont il faut se défendre a posteriori.
Dans ce cadre, à qui imputer la responsabilité de la faute d’un sportif de club ? A lui-même, à son entraîneur, à son Président, à ses contraintes financières, à la société, qui désire du spectacle, ou, plus globalement, au système compétitif ? En cas de transgression, les représentations des adolescents institutionnalisés font ainsi ressortir une tendance à éviter la notion de responsabilité individuelle. Celle-ci est diffusée vers d’autres agents, voire vers le contexte particulier de la pratique. Pour le joueur, il peut être par ailleurs de sa responsabilité que de réaliser intentionnellement une faute ou faire mal à l’adversaire si ces actes servent un intérêt supérieur, qui est, dans ce contexte-là, la victoire. Ainsi, en tant que joueur, « prendre ses responsabilités » peut clairement engendrer la souffrance d’autrui. Cette représentation pose la primauté de la fonction de l’acte devant sa nature. Les fautes sont ainsi évaluées par rapport à leur utilité et leur efficacité. Par exemple, en football, un tacle défensif « appuyé » s’explique pour prendre l’ascendant psychologique sur l’attaquant. De même, en basket-ball, une faute volontaire en fin de match a pour but d’arrêter le chronomètre donc de gérer le score de la manière la mieux appropriée. La nature de ces gestes n’entre pas en ligne de compte dans les représentations de ce groupe de sportifs. Cette position illustre bien la représentation fonctionnelle de la responsabilité des sportifs institutionnalisés. Ainsi, ils ne connaissent peu de dilemmes moraux mettant en jeu différentes figures d’altérité (pairs, adversaires, arbitres, etc.) car ce qui compte vraiment est la victoire (qui n’est d’ailleurs pas une figure d’altérité au sens propre du terme). La responsabilité est instrumentalisée.

Cette position pour l’imputation des fautes se retrouve dans les autres domaines de la dynamique juridico-réglementaire. La responsabilité individuelle des sportifs est peu appelée à travers leurs représentations. Dans l’évolution des règles et des lois, la responsabilité revient respectivement aux fédérations (voire à la transcendance historique) et au gouvernement. La responsabilité individuelle intervient bien dans ce domaine, mais uniquement à travers les comportements déviants auxquels fédérations et gouvernements doivent remédier. Bien que les adolescents sportifs institutionnalisés aient conscience du rôle individuel dans ces changements, ce n’est pas leur objectif premier. Celui-ci est avant tout, dans leurs représentations, de profiter des zones d’ombre du règlement ou de la législation en place pour en tirer profit. Par conséquent, la transgression ne se réalise pas dans un esprit contestataire en vue de modifier une règle ou une loi qu’ils trouveraient injuste. D’autre part, la responsabilité dans l’évolution réglementaire est parfois projetée vers les sportifs professionnels. Ainsi, le pouvoir des sportifs professionnels, s’il n’est pourtant que symbolique, influence les adolescents dans leurs représentations de la responsabilité.
Ils ont également tendance à rester passifs dans les autres domaines, en projetant la responsabilité sur d’autres agents, la leur se résumant à du suivisme. Nos résultats font effectivement ressortir que la responsabilité sportive s’apparente à l’obéissance inconditionnelle des consignes de l’entraîneur et des décisions de l’arbitre. Cette posture n’est en rien de la responsabilité. Pourtant, elle est valorisée et intronisée, puisque l’amélioration de la responsabilité des joueurs passe par cette démarche selon eux. Il est effectivement de leur responsabilité d’être engagé dans l’activité, d’aider les partenaires, etc., mais uniquement dans un but d’efficacité ; pas forcément dans un but pro-social.
Finalement, plusieurs éléments contribuent à confiner les sportifs institutionnalisés dans la responsabilité fonctionnelle que nous décrivons, à savoir celle de tenir un poste, d’être efficaces, assidus aux entraînements et aux matches, rigoureux, et obéissants. Ces éléments participent à l’assise de leur identité sportive. Dans cette mouvance, les adolescents institutionnalisés estiment qu’il est de la responsabilité du sportif de répondre devant l’ensemble des acteurs du mouvement sportif (entraîneurs, dirigeants, sponsors, supporters, etc.) en terme de performance et d’efficacité, et non du point de vue de la morale de ses actes. Seule la performance est le critère du bon sportif (Ehrenberg, 1991), comme le montrent les résultats de notre étude, même si c’est au prix de transgressions.
 
Analogies et différences éventuelles avec les apports scientifiques et philosophiques
Les représentations des adolescents institutionnalisés font largement référence à une conception fonctionnelle, négative et contractuelle de la responsabilité.
Ces représentations rejoignent tout d’abord ce qu’Ogien (1995, 140) nomme la « soumission à des loyautés supérieures ». Les sportifs institutionnalisés justifient leurs actes délictueux dans la responsabilité qu’ils ont d’accomplir une mission louable et valorisée socialement : gagner. En quelque sorte, la fonction justifie l’acte.
Etchegoyen (op. cit. 136) précise également que « le processus qui consiste à répondre devant l’autre est un processus de validation morale et non un processus de vérification », qui, lui, est tourné vers l’attente de résultats. Ce processus s’inscrit dans une représentation de la responsabilité qui est contractuelle. Comme le spécifie Charbonneau (op. cit. 8-9), « dans les faits, la responsabilité volontaire fait rapidement place à une conception autoritaire. Si le partenariat paraît valorisé en théorie, un seul membre du groupe fixe les règles et distribue les rôles, l'État. Il préfère aussi que les modalités du partage des responsabilités soient clairement définies dans des contrats, dont il sera le seul à juger de la conformité en fonction de son évaluation des « résultats. » » Cela aboutit à cette représentation restreinte que nous venons de décrire de la responsabilité, se limitant au juridique et au contrat. Aussi, si un élément dépasse ce cadre, il ne tient pas lieu de responsabilité, ce qui exclut d’entrée de jeu le domaine moral. Comme l’illustre cette réflexion d’un adolescent de club, « puisque aider son prochain n’est pas un devoir, on n'en est pas responsable ; c’est un plus, c’est tout. »
Si nous nous référons à la théorie du développement de la responsabilité proposée par De Busk et Hellison (1989), les représentations de la responsabilité des sportifs institutionnalisés touchent chacun des niveaux mais toujours du point de vue fonctionnel. Elles rejoignent les conceptions envisagées de la responsabilité dans la vie quotidienne et tiennent d’une socialisation institutionnelle.
Par essence (ou par définition tout simplement), cette représentation instrumentalisée de la responsabilité ne peut être compatible avec la responsabilité d’autrui (Levinas, 1971) et la responsabilité pour le futur (Jonas, 1990). Ces remarques alimentent encore davantage l’explication d’absence du concept moral de responsabilité chez les adolescents sportifs institutionnalisés. Cette conception se traduit par l'utilisation préférentielle de la culpabilité plutôt que par l'appel à l'autonomie de chacun. Par conséquent, « rapidement, le sens moral fait place au sens juridique, à la responsabilité de ses actes sous peine de sanctions, monétaire ou autre (perte de droit ou de services par exemple). » (Charbonneau, 2001, 9).

Explications contextuelles des représentations fonctionnelles de la responsabilité
Les explications justifiant les représentations de la responsabilité des sportifs institutionnalisés se trouvent dans les caractéristiques mêmes de leur contexte de pratique : la recherche de la performance, le statut donné aux sportifs de haut niveau, l’environnement surprotégé des athlètes, la sectorisation des tâches, et la nature du règlement et de son application.
En premier lieu, les représentations des sportifs institutionnalisés à propos de leurs responsabilités se tournent vers la performance. Or, comme le souligne Etchegoyen (1999), le culte de la performance se marie mal avec l’apprentissage de la responsabilité puisqu’il outrepasse souvent le souci de l’autre et la prise de distance nécessaire à la réflexion morale. Il tient d’un objectif fonctionnaliste et intégrateur, au sens le plus instrumental du terme.
D’ailleurs, la responsabilité, en terme réglementaire, est souvent projetée sur les sportifs de haut niveau qui incarnent des gens responsables et à haute teneur symbolique. Etchegoyen (1999) met d’ailleurs en avant le danger que le pouvoir, cristallisé autour de certaines personnalités, peut représenter sur le plan de la responsabilisation de tout un chacun, ce qui peut justifier partiellement ce type de représentations chez des adolescents.
D’autre part, Schlegel (2000) avance qu’à un certain point, la protection divulguée à certains individus les prolonge dans un état d’irresponsabilité. Ainsi, la surprotection dont bénéficient les sportifs institutionnalisés (entraîneurs, managers, proches, etc.) peut également être un élément explicatif supplémentaire à leur déficit de responsabilité morale dans leurs représentations, d’autant plus qu’elle est vécue comme un indice de valeur : plus ils font l’objet d’attention, plus ils sont de bons joueurs et moins ils ont à s’occuper de domaines extra-sportifs ou de dilemmes moraux.
De plus, Etchegoyen (1999) et Siedentop (cité par Rees, 2001, 56) mettent l’accent sur l’importance de ne pas rester cloîtré dans une position, un poste, ou un lieu, afin de rentrer dans un processus de responsabilisation. Ainsi, la restriction de l’adolescent sportif « de club » à des tâches liées à un poste sportif particulier lui interdit l’ouverture à d’autres possibles, c’est-à-dire de considérer la structure selon différents points de vue et ainsi de développer son esprit critique. En étant restés à la modalité répondre de, ils n’ont pas atteint ce stade. Cela est d’autant plus vrai que la responsabilité de tenir son poste n’en est en fait pas une puisque ce phénomène participe d’une régulation mécanique et d’une participation intégrée à un système plus large plaçant l’individu dans un état agentique (Milgram, 1974). Ce processus inhibe alors les repères individuels moraux habituels.

L’adolescent sportif institutionnalisé évolue au sein d’un système organisationnel et idéologique à la fois complexe et coercitif. Son rôle y est nettement circonscrit, ce qui ressort à travers ses notions de responsabilité. Nous pouvons faire le parallèle avec des sociétés dites traditionnelles dont « les codes sociaux fixent et délimitent clairement les responsabilités » (Métayer, op. cit. 22). Les transgressions n’y étaient pas souvent imputées à l’individu : « Le criminel était éventuellement possédé par le diable ou saisi par la folie » (Schlegel, op. cit. 13), comme le sportif transgressif peut se justifier par l’emportement et une passion excessive décuplée par l’ambiance du stade. Il peut sans cesse s’excuser par une structure complexe dont il n’est qu’un maillon et qui illustre, dans le contexte sportif, l’idée d’emboîtement des responsabilités mise à jour par Etchegoyen (1999). Comme le spécifie Métayer (op. cit. 24), « l’individu peut détourner l’interpellation vers un autre agent, situé en amont dans la chaîne des causes ou plus haut dans la hiérarchie des pouvoirs. » Cette possibilité de diffusion de l’imputation de la responsabilité rejoint un des processus du désengagement moral (Bandura et al., 1996). Sykes et Matza (cités par Ogien, 1995) mettent en lumière ce qu’ils nomment des « techniques de neutralisation. » Elles expriment le fait que les individus peuvent suspendre pour un temps la normalité légale pour se référer à la normalité du groupe auquel ils appartiennent ou auquel ils s’identifient (groupes religieux, groupes de pairs, groupe sportif, etc.). Ils se placent alors dans d’autres repères normatifs dont les caractéristiques permettent certains actes déviants, condamnés par ailleurs. C’est une des caractéristiques des délinquants de faire preuve à la fois de conformisme, de dépendance, et de déviance. Pour les adolescents sportifs institutionnalisés, cette soumission à un autre ordre est d’autant plus « facile » que la société extérieure le cautionne et que, comme de nombreuses études l’ont montré, les contextes du sport et de la vie quotidienne sont deux contextes bien distingués du point de vue moral (e.g., Bredemeier et Shields, 1986 ; Long, 2000). Par conséquent, la responsabilité du sportif n’engage pas celle du citoyen, bien que les résultats de notre étude montrent qu’il y a finalement beaucoup de ressemblances entre les représentations de la responsabilité sportive et quotidienne. Les participants institutionnalisés intègrent finalement l’idée que le sport est un modèle de conduite généralisée.
La conception défensive de la responsabilité, elle, est principalement liée à la nature du règlement mais également à la quantité des règles. Puisque la précision des règles crée du contentieux (Collomb, 2002), et par conséquent des décisions toujours et encore discutables, elle est à l’origine des représentations scrupuleuses des sportifs et de leur éventuelle frustration face aux décisions arbitrales. Pourtant, c’est de la responsabilité des sportifs de ne pas les exprimer, c’est-à-dire de ne pas contester les décisions, afin de ne pas pénaliser davantage l’équipe. C’est ainsi que le contexte fédéral n’implique pas l’individu à répondre de quoi que ce soit, ni devant qui que ce soit, sauf lors de cas extrêmes qui passent alors par les voies hiérarchiques et / ou juridiques dont les conceptions de la responsabilité sont encore réduites à celle de culpabilité, comme l’ont mis en évidence Vaillant (1995), Etchegoyen (1999), et Schlegel (2000). A aucun instant, il est demandé aux sportifs institutionnalisés de répondre de leurs actes et de leurs conséquences du point de vue moral, ce qui a pour effet de ne pas leur permettre l’apprentissage du concept moral de responsabilité mais de se contenter de représentations juridiques et fonctionnelles de cette notion.
La nature des sanctions est un autre élément clé des représentations des sportifs institutionnalisés. Elle contribue à forger une représentation réduite de la responsabilité. L’arbitre est seul garant de la régulation pénale sur le terrain. Ses décisions font foi et interdisent toute contestation. Si l’on en croit Vaillant (1995), qui assume que cette transcendance anime la vengeance sociale, les représentations qui associent la responsabilité de l’arbitre à la dégénérescence d’un match s’expliquent bien.

Enfin, la valorisation de ce type global de responsabilité par le milieu sportif explique l’imprégnation d’une telle conception chez les adolescents, étant donné l’importance de l’influence et des renforcements positifs d’autrui significatif dans la construction de la conception de la responsabilité de l’individu (Métayer, 2001). D’une manière générale, les sportifs « de club » ne connaissent pas, ou peu, de mouvements réflexifs sur leurs agissements. Le déficit de responsabilité morale des sportifs institutionnalisés amène les dirigeants du mouvement sportif à réglementer de plus en plus leurs comportements sur le terrain, ce qui peut avoir pour conséquence une aggravation de ce déficit. Un cercle vicieux est en route et empêche même de distinguer la cause de l’effet.

CONCLUSION
Le but de cette étude était de souligner la prégnance des facteurs contextuels en matière de régulation réglementaire dans le contenu des représentations de la responsabilité sportive chez les adolescents. Il en ressort que les adolescents sportifs institutionnalisés, de par leur socialisation sportive, présentent une responsabilité fonctionnelle et contractuelle. Ce positionnement a été interprété ici au regard de leur contexte de pratique hiérarchisé, hétéronome, et compétitif. Ces résultats remettent quelque peu en question le pan éducatif du sport institutionnalisé et interroge sur les conditions objectives (et non idéologiques) du développement moral et social des jeunes. Du point de vue de la socialisation, le transfert de ces représentations d’un contexte à un autre redonne du poids à l’influence des groupes d’appartenance, en particulier chez des individus dont le processus de construction identitaire est intensifié comme il peut l’être à l’adolescence (Reymond-Rivier, 1980 ; Malewska-Peyre et Tap, 1991).
Cela dit, des limites se présentent à notre étude. Tout d’abord, les résultats de l’étude se limite à un échantillon restreint dû à la méthodologie qualitative. Ensuite, ils se limitent également aux éléments sportifs de la socialisation des participants et ne prennent pas en compte les caractéristiques de leur socialisation primaire et secondaire.
Malgré ces limites, cette étude suggère des implications pratiques importantes, en particulier pour les entraîneurs. En effet, dans un objectif éducatif, ces derniers devraient laisser plus d’opportunités aux jeunes sportifs pour participer à la régulation de l’entraînement et du jeu afin de les rendre plus autonomes, plus conscients qu’ils sont la cause première de leurs actes et, par là, plus responsables du point de vue moral.



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