Article

3 - Réflexions phénoménologiques sur le sens de la violence scolaire au Chili.
by Catherine Blaya, Université Victor Segalen (Bordeaux II)
Eric Debarbieux, Université Victor Segalen (Bordeaux II)
Luis M. Flores, Université Catholique du Chili
Ana Maria Zeron, Université Catholique du Chili


Theme : International Journal on Violence and School, n°8, April 2009

Cet article présente une réflexion, d’inspiration phénoménologique, sur le sens de la violence scolaire pour les jeunes lycéens au Chili. La violence est interprétée comme un phénomène social et subjectif, lié à la complexité de l’expérience scolaire et des conditions existentielles des jeunes chiliens. Cet article prétend offrir quelques orientations pour une interprétation qui dépasse l’explication causale et linéaire et l’association, très présente dans le discours des autorités pédagogiques au Chili, entre pauvreté et violence.

Keywords : School violence, School experience, Meaning of violence in school.
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  INTRODUCTION
En octobre 2004, la nouvelle de l’assassinat d’un élève par un de ses camarades de classe était à la une des plus importants journaux chiliens. Ceci provoqua des réactions de condamnation unanime due à l’apparente gratuité de l’acte et au sentiment croissant de banalisation et d’aggravation de la violence et des déviances dans les écoles. A partir de ces évènements violents, très spectaculaires et largement médiatisés para la presse locale, les autorités éducatives s’engagent dans plusieurs enquêtes nationales afin de diagnostiquer les causes de la violence et ses prévalences dans les écoles. Ces études basent leur interprétation sur une ligne à prédominance psychosociale, dans laquelle la violence et l’agressivité tendent à s’identifier. Dans cette ligne, le mot clé school bullying est devenu le concept universel pour désigner la violence scolaire. Les enquêtes nationales, ou de grande envergure, sont très efficaces quand il s’agit de mesurer les indices criminologiques de délits et de faits violents dans les établissements, ainsi que mettre en lumière de manière détallée les pratiques d’abus de pouvoir entre les élèves, les dynamiques agressives de structuration des groupes de pairs et les profils psychologiques des élèves en situation de risque. La plupart des ces enquêtes se basent sur le même type d’instrument de recueil d’information, à savoir le questionnaire d’auto-déclaration construit par Olweus dans les années 1970-1980. Cette base permet d’obtenir un cadre commun de comparaison internationale et donc de collaborer à la recherche d’explications transculturelles et sociales des problèmes d’agressivité entre les enfants et les jeunes dans les écoles.
Cette ligne de recherche, bien qu’elle contribue significativement à l’explication de la violence scolaire, oublie d’autres dimensions de la violence. Le point de départ de notre étude considère que la violence n’est pas un fait social simple, mais plutôt un phénomène complexe. Rappelons qu’il existe une différence fondamentale entre un fait social et un phénomène ; le premier consiste en un évènement absolument externe par rapport au sujet qui ne fait que le percevoir, tandis que pour la phénoménologie, le sujet est observateur et en même temps fait partie du phénomène, c’est-à-dire que le sujet est inséparable du phénomène et qu’ils co-émergent simultanément. L’approche sociologique d’inspiration phénoménologique postule que le sens d’un phénomène social est intimement lié à la trame symbolique, subjective et sociale qui configure le monde-de-la-vie (Lebenswelt). Par conséquent, comprendre la violence à l’école c’est aussi l’interpréter comme un phénomène social et subjectif.
La subjectivité, dans cette perspective, ne fait pas référence à l’intériorité d’un sujet qui penserait de manière désincarnée grâce à une conscience transcendantale. La subjectivité est une action propre du sujet comme être-au-monde. Ses relations fondamentales ne sont pas liées uniquement avec la pensée, mais aussi avec la perception, la temporalité, la corporalité et l’intersubjectivité. Le sujet est un interprète de la réalité qui attribue des signifiés au monde et à la place que lui-même occupe. C’est pour cette raison qu’il est intéressant de détecter à partir du discours des acteurs le « sens » de la violence scolaire comme un phénomène social et subjectif. Ces deux dimensions ne s’opposent pas, elles sont complémentaires et partent d’un même circuit.
La première partie de cet article développe une interprétation phénoménologique de la situation sociale y existentielle du « monde-de-la-vie » des jeunes. La seconde partie est dédiée aux dimensions existentielles et sociales de la violence scolaire. Nous verrons par la suite quelques paradoxes de la violence scolaire au Chili. La dernière partie finalise la réflexion en offrant des projections pour une compréhension profonde du phénomène de la violence à l’école.

DIMENSIONS EXISTENTIELLES DU « MONDE-DE-LA-VIE » DES JEUNES
La violence scolaire ne renvoie pas seulement à un fait social ; il s’agit plutôt d’un phénomène complexe et multi-référentiel. Comme tout phénomène, le problème de son sens et de ses racines phénoménologiques appellent une recherche sur la trame entrelacée de l’expérience humaine. Cette expérience dépasse nos perceptions et nos habitudes quotidiennes.
Divers diagnostiques anthropologiques indiquent que, dans les sociétés modernes, les grands idéaux sociaux sont devenus flous ; l’espace social s’est hyper-privatisé, laissant les sujets isolés dans leur propre individualité. Une « nouvelle société » s’est instaurée qui n’a pas seulement réduit l’être au faire, mais aussi le mode de penser et de sentir les relations sociales, individuelles et de la vie quotidienne, aux critères de consommation. La dé-ritualisation de la société moderne, ou postmoderne, laisse les individus circuler dans la distance et l’anonymat. La question classique de la métaphysique Pourquoi les choses existent-elles, et non plutôt le néant ? semble se déplacer, comme l’indique Baudrillard, vers l’interrogation Pourquoi le néant existe, et non plutôt les choses ? (Baudrillard, 1996). Dans ce contexte, l’association entre la violence scolaire et le sentiment profond de perte du sens d’appartenance et la fissure globale du sujet face à lui-même et aux autres, n’est pas forcée.
« L’ère du vide » que diagnostique Lipovetsky (1983) est une époque à la fois remplie d’offres commerciales et de promotions. Dans ce contexte, l’éducation à tout niveau se privatise et se conçoit plus comme un bien qui se commercialise que comme un droit ou un service public. Dans cette perspective, l’expérience de relativiser le sens de l’expérience de l’être humain par une vision instrumentale du sujet est de plus en plus nette. Ce sujet instrumental forme un monde d’objets sans valeur transcendante et structuré autour de relations fonctionnelles réduites à des critères de rendement.
Dans cette dérive ontologique et anthropologique, la violence scolaire apparaît parfois comme une résistance à la lutte, bien que non déclarée, contre l’exclusion sociale et comme une réaction à l’ « évidage » du sujet, dans des sociétés où les lois du marché s’imposent comme les structures fondamentales du tissu social. L’exclusion sociale ne fait donc pas référence exclusivement à la pauvreté économique, mais aussi à tout type de bannissement des sujets. Les jeunes perçoivent le sentiment d’exclusion, soit par le manque de moyens économiques, soit par la surabondance. Dans ce dernier cas, l’exigence de savoir que l’on possède tout radicalise le sentiment d’appartenir à un monde inhospitalier. Ainsi, par exemple, une nouvelle tendance est apparue chez les jeunes des secteurs favorisés : imiter le modèle social des jeunes marginaux, qui légitime cette condition vitale comme réaction à un système social et économique qui les exclue radicalement (García, 2005).
Dans ce contexte, de nouvelles figures de la violence à l’école émergent. La nouveauté ne réside pas dans la gestation d’un acte originaire, mais dans l’emphase d’une direction déterminée du phénomène vers une trame de sentiments et de rancœurs, subjectifs et sociaux. Dans ces nouvelles expériences de la subjectivité sociale, une violence « anti » scolaire apparaît (Dubet, 2005). Dans cette réaction contre, ou « anti », s’institue un des carrefours les plus décisifs entre la subjectivité et la dimension sociale du phénomène de la violence, parce que l’institution scolaire condense le pouvoir symbolique du statu quo, ainsi que les forces coercitives et de régulation qui ne cessent d’activer les institutions sociales.
La dimension sociale du phénomène de la violence scolaire ne contredit pas, mais suppose nécessairement comme possibilité la plus proche, le champ de la subjectivité humaine. Les domaines de la subjectivité font référence grosso modo à la situation fondamentale d’être-au-monde, dans des coordonnées concrètes de l’existence telles que la temporalité et l’incarnation.
QUELQUES CONSIDERATIONS SUR LE DOMAINE DE LA SUBJECTIVE.
La subjectivité n’est pas, selon cette perspective, une qualité ontologique ni la propriété d’une conscience désincarnée, mais l’émergence et l’ensemble de réseaux intentionnels, à partir desquels l’existence humaine s'insère dans le monde. La première de nos expériences, c’est l’expérience des autres : dans le langage, l’action, dans le désir, nous nous situons toujours par rapport à d’autres. Je ne demande pas aux autres s’ils existent ou non, je leur demande comment sont-ils et que veulent-ils de moi. Or, la subjectivité n’est pas une relation qui avance exclusivement à partir des variations ou impressions du sujet en tant qu’un individu intérieur vers un extérieur. Il s’agit par-dessus tout d’un mouvement de réciprocité entre sujet et monde. Comme dirait Foucault, les « savoirs et pouvoirs du monde » sont générateurs de subjectivité. Le sujet construit des horizons dans lequel il est né et en même temps, il ne cesse de les créer.
La subjectivité est une action plurielle, multiforme, multi-référentielle. Être un sujet n’est jamais un geste singulier absolu, parce que le sujet est une action constituée par la rencontre avec les autres, ou bien, par la non-rencontre avec ceux-ci.
La subjectivité ne se réduit pas à un mouvement d’intériorité ou d’introspection pure, incommunicable et fragmentaire. La subjectivité est un mouvement de pli et de repli des expériences du sujet, comme l’incarnation, la temporalité et la conscience qui montrent irréfutablement que l’expérience de la subjectivité est une action qui nous lie au monde. L’être-pour-autrui est la condition constitutive du sujet. C’est pourquoi on peut soutenir, comme le fait Varela (2000), que la conscience est une affaire publique.
La subjectivité est une création, une autoproduction, un réseau de relations dans lequel émergent et convergent les dimensions sociales, historiques, culturelles, psychiques, organiques et biologiques du monde humain. L’expérience de la subjectivité, tout en étant une source hétérogène d’expériences inépuisables, est réciproquement construction de celles-ci.
On trouve sur ce point un référent conceptuel central au moment de sonder le problème de la violence et de la subjectivité, il s’agit de la notion d’imaginaire social de Castoriadis (1975, 8) : « L’imaginaire dont je parle ici n’est pas image de. Il est création incessante et essentiellement indéterminée (social-historique et psychique) de figures/formes/images, à partir desquelles seulement il peut être question de « quelque chose ». Ce que nous appelons « réalité » et « rationalités » en sont des œuvres ».
En effet, l’imaginaire ne fait pas référence à des images mentales ou des représentations personnelles ; on serait dans ce cas dans le domaine des contenus donnés plutôt que des relations créées et recréées dans le monde. Le « réel », qui fait référence à tout ce qui est socialement institué comme tel, est multiple, divers et hétérogène. Les rationalités sont toujours des expériences plurielles de sens, dans lesquelles s’entrelacent divers réseaux symboliques et culturels du monde.
Ainsi, par exemple, le monde à l’époque de ses origines était rempli de dieux. La violence était une expression circonscrite au champ des divinités; de cette façon, les hommes étaient les porteurs d’une violence dictée et dirigée par les dieux.
Au fur et à mesure que le monde se sécularise, des vides et d’autres peurs apparaissent dans la culture ; l’homme s’en trouve troublé. Le pouvoir et la force s’associent dans un paroxysme cruel et horrible, comme l’a été l’expérience d’Auschwitz. Les dieux se sont échappés et ont laissé le monde indemne à l’arrogance humaine ; les institutions traditionnelles s’affaiblissent, les noyaux de la force brute sont déplacés vers des mécanismes de consommation planétaire. L’individualisme exacerbé contemporain génère de nouvelles formes de subjectivation et bien sûr, un vaste spectre de formes nouvelles et variées d’incertitude croît.
LA VIOLENCE ET L’IMAGINAIRE SOCIAL
La violence, y compris la plus brutale et sanguinaire, possède toujours et dans n’importe quel cas une dimension symbolique, qui fait référence à ses conditions d’émergence ou à l’exercice de ses possibilités et de ses réalisations. Celles-ci se situent dans un cadre institutionnel qui promeut légitimement ses expressions, soit pour les valider – comme par exemple dans le cirque romain – soit pour réprimer avec violence un autre type de violence illégitime en termes institutionnels.
La référence à l’imaginaire social permet de lier le phénomène de la subjectivité à l’institution sociale, puisque c’est au carrefour des multiples processus historiques que les évènements sociaux émergent, associés aux horizons primaires de signifiés symboliques. Or, de tels évènements se retournent réciproquement sur ces signifiés, en leur donnant de nouvelles formes et interprétations.
L’institution imaginaire de la société, c’est-à-dire ses réseaux symboliques de création, décident et légitiment ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Cette décision, étant donné qu’elle est subjective, est une action dans lequel le social et le collectif interviennent. Ce qui est capable de se créer, se génère soi-même, en même temps que c’est le contexte où les choses sont créées. Ces relations entraînent des formes variées de recomposition et de configuration.
Dans cette perspective de recherche, la violence dans toutes ses manifestations renvoie à un évènement fondamentalement subjectif dans lequel le groupe social participe, ainsi que la culture et autrui. Comme l’indique explicitement Debarbieux (1995, 18) : « La violence dont nous parlons, est en premier lieu une violence subie : elle n’est pas nécessairement agression dirigée volontairement ou inconsciemment ».
Ainsi, la violence n’a pas un objet déterminé ni un contenu fixe que l’on peut définir a priori. La violence scolaire apparaît comme l’interprétation subjective d’évènements qui n’ont pas forcement un destin de violence. A partir de cette perspective, la dimension de la subjectivité du phénomène de la violence se retrouve davantage dans le sens herméneutique de l’évènement que dans les conséquences les plus visibles de sa propre force.

DIMENSIONS EXISTENTIELLES ET SOCIALES DE LA VIOLENCE
A partir d’une approche phénoménologique, la violence est un évènement social et donc un évènement subjectif d’un « nous », étant donné que les axes des évènements sociaux s’interprètent à partir de certains réseaux symboliques de l’action humaine. La distance des chercheurs quand ils définissent le phénomène sur la base de critères fixes ou homogènes n’est pas, par conséquent, une question latérale des conditions du problème, mais une partie des exigences théoriques indispensables à sa formulation. Beaucoup de chercheurs continuent de commencer leur recherche avec le problème de la violence déjà définie. Cette décision suppose de parier sur le fait que les instruments méthodologiques indiquent « l’objectivité » exigée par la définition donnée en termes a priori par les chercheurs.
Contrairement à cette tendance, Debarbieux (2006, 125) précise : « En d’autres termes, c’est une erreur fondamentale, idéaliste et a-historique de croire que définir la violence, ou tout vocable, consisterait à s’approcher d’un concept absolu de violence, d’une idée de violence qui de soi permettrait de rendre adéquat le mot et les choses ». Il faut souligner d’ailleurs que l’idée d’un concept absolu de violence non seulement serait impropre en termes méthodologiques, mais surtout en termes anthropologiques et existentiels. La violence, comme tout phénomène humain, déborde de la définition unilatérale d’un concept, parce que la violence est une action et pas seulement un nom que l’on assigne a certains faits. Dans toute violence, il y a toujours une logique, néanmoins, cette logique ne fait pas référence à la cohérence déductive possible de la pensée avec soi-même, mais à des « logiques d’action » déterminées sur lesquelles s’installent les décisions humaines. Pour interpréter ces logiques, il faut chercher les horizons dans lesquels les choix des acteurs se basent, en d’autres termes il s’agit de comprendre les types de rationalités et les structures en mouvement dans toute action. Or, comme il n’existe aucune action qui soit absolument individuelle, les logiques d’action interprètent les liens intersubjectifs de l’action humaine en termes non causaux, c’est-à-dire à partir de la dynamique expérientielle et subjective de l’individu (Bajoit, 1998).
A partir d’une approche plus socioculturelle, P. Güell (2004) suggère que la subjectivité fait référence à cette trame de perceptions, d’aspirations, de mémoires, de savoirs et de sentiments qui nous pousse et nous donne une orientation pour agir dans le monde. Cette approche est très pertinente parce que l’auteur formule l’argument selon lequel se conjugue l’articulation entre subjectivité et la notion d’imaginaire social. Dans la mesure où Güell intègre dans la trame de la subjectivité les aspirations, les mémoires et les savoirs, il fait allusion explicitement à que la subjectivité est notre histoire vécue dans le monde. Les sentiments qui nous orientent dans cette histoire ne se limitent pas à un exercice absolument individuel, encore moins capricieux. Personne ne serait un héros ou un scélérat dans un monde solitaire.
P. Güell introduit la notion de « subjectivité sociale » quand il réaffirme que les coordonnées de la subjectivité s’insèrent toujours dans la culture et donc dans le milieu social. Ainsi, la subjectivité sociale est conçue comme la trame vécue par la communauté dans l’ensemble des perceptions du monde, communauté qui inscrit la subjectivité sociale dans les termes suivants : « la subjectivité (sociale) fait partie de la culture, mais elle est cette partie qui est inséparable des personnes concrètes, c’est pourquoi elle est la partie la plus changeante et fragile » (Güell, 2004, document électronique).
Cette fragilité montre, entre autres choses, l’impossibilité de capter en un seul mouvement les fonctions et les sens de la violence scolaire. La plupart des études sur la violence, qui prétendent mesurer le phénomène et offrir des échelles de comparaison, mettent en générale entre parenthèse la dimension de l’expérience subjective. Les figures de la violence scolaire sont davantage liées à des formes et à comment est vécue la subjectivité, que le simple enregistrement de fréquences d’échelles quantitatives qui mesurent des niveaux d’agression et de victimisation.
Les réseaux de la violence s’échappent des structures fixes liées causalement. Par exemple, dans une de nos recherches présentes, nous nous interrogions sur les directions de la violence des jeunes casseurs, une violence apparemment absurde (Flores, 2001). Cette expérience particulière de violence, jugée par les adultes et les autorités comme purement spontanée, est « subie » par ses protagonistes comme des actions qui justifient les profondes carences et les besoins de reconnaissance individuelle et collective. Comme le suggère M. Wieviorka (2005, 220-221), la violence peut montrer davantage l’impossibilité d’un conflit que son déchaînement obligatoire en actions explicites : « La violence peut être pensée, souvent, non comme la modalité d’un conflit mais son contraire, ce qui apparaît quand un conflit est impossible ».
La violence comme une voie de réalisation d’un conflit impossible se constitue dans ce sens comme une action qui difficilement peut être verbalisée. Il y a de fait dans ce champ, des niveaux qui peuvent être exprimés, comme par exemple, une certaine idée de revendication, d’aspiration ou simplement de dénonciation. Néanmoins, de tels actes ne se disent pas, ni ne se formulent, explicitement au moment de participer à des actions violentes. Ainsi, comme le dénonce Nietzsche, non seulement « le désert grandit », mais aussi un fort sentiment de fragilité de la subjectivité sociale. Cette fragilité croît dans un milieu social dé-ritualisé, dans lequel les axes d’identité culturelle sont de plus en plus ambigus. Nous nous retrouvons sans drapeaux ni consignes. La consigne pamphlétaire voulait conserver et transmettre, à travers de brefs espaces, des témoignages des grandes idées qui mobiliseraient le futur social. « Aujourd’hui, quand les cultures se fragmentent et se diversifient, la subjectivité individuelle et collective remonte, comme jamais auparavant, à la superficie de la vie sociale et se retrouve plus exposée » (Güell, 2004, document électronique).
A partir de cette perspective, on découvre un processus soutenu de dé-symbolisation des réseaux de sens collectif de la société. Ce sens préfigure le social à partir d’une notion de société qui contenant des promesses fondamentales de développement (justice sociale, égalité), dans une société vidée qui ne parvient pas à contenir les initiatives individuelles, qui tendent vers la privatisation et l’égocentrisme.
Or, dans ce cas, la dénommée perte de sens ne fait pas que référence à l’absence d’un référent global ou à la chute des systèmes idéologiques, mais comme le suggère Wieviorka (2005, 221) à une forme de violence qui exprime un type de conflit inexprimé : « (…) qui nous renvoie à l’acteur, au mode avec lequel il gère sa propre expérience, sa trajectoire, sa tradition, et non un système dans son état de transformations objectives (…). La notion de perte de sens est relativement différente et éloignée de toutes celles qui d’une manière ou d’une autre désignent la crise d’un système ». Il naît avec cette forme de violence – en s’échappant des frontières du langage – un nouveau type de sujet que l’auteur appelle « le sujet flottant ». La subjectivité de ce sujet indéterminé se développe dans un contexte fragile et incertain qui, de manière inédite, place la violence dans le rang du fragmentaire et de l’imprévisible.

SUBJECTIVITE ET QUELQUES PARADOXES DE LA VIOLENCE SCOLAIRE
Les dimensions de la subjectivité de l’expérience humaine s’expriment aussi dans ses propres discontinuités et interruptions. Dans le cas de la violence scolaire, nous avons détecté au moins trois oppositions que l’on peut designer comme de véritables paradoxes, c’est-à-dire comme des positions qui contredisent les opinions habituelles et les préjugés du sens commun à propos de ce problème. Ces positions sont très importantes parce qu’elles sont souvent à l’origine des stigmatisations et des idées simplistes que les médias font circuler.
Ces paradoxes se basent sur l’analyse statistique des résultats d’une enquête menée à Santiago du Chili en 2005, dans lequel plus de mille lycéens ont participé. Les résultats du questionnaire montrent deux paradoxes fondamentaux, que l’analyse du discours aide à éclairer. Tout d’abord, le niveau relativement faible de la victimisation scolaire s’oppose à un niveau élevé de perception de la violence scolaire. Deuxièmement, même si la multi-victimisation (combinaison de plusieurs victimisations) observée est transversale socialement, le niveau de violence scolaire perçu est inégal. En d’autres termes, il semblerait que le fait d’être victime d’agressions à l’école ne soit pas associé statistiquement avec la perception de vivre dans un monde scolaire violent. La violence que les élèves perçoivent ne les affecterait pas personnellement. En outre, les élèves observent plus de violence dans les lycées du secteur défavorisé mais ils ne se déclarent pas plus victimes de violence que les élèves du secteur favorisé. Pour comprendre et interpréter ces paradoxes, la figure du flaite est fondamentale.
UN NIVEAU DE VICTIMISATION SCOLAIRE RELATIVEMENT BAS QUI S’OPPOSE A UN HAUT NIVEAU DE VIOLENCE SCOLAIRE PERÇU PAR LES ELEVES.
Malgré un taux de victimisation relativement bas que nous avons constaté dans des recherches antérieures (Flores, 2004), la plupart des élèves enquêtés perçoit un sérieux niveau de violence scolaire et un climat social au sein de l’établissement de mauvaise qualité.
Dans un échantillon de 1458 lycéens enquêtés, 55.6% présente une multi-victimisation modérée et 9.8% une multi-victimisation grave, c’est-à-dire que pour un élève sur dix, la fréquence et l’intensité des agressions subies dans leur espace scolaire sont très préoccupantes. D’autre part, 14.3%, soit un lycéen sur six, considère qu’il y a beaucoup de violence dans son établissement. Il semblerait donc que le fait d’être victime d’agressions à l’école n’est pas associé à la perception de vivre dans un monde scolaire violent. La violence scolaire serait davantage une violence perçue qu’une violence effectivement subie. Ce résultat est tout à fait cohérent avec ce que les lycéens des entretiens dénoncent : « Dans ce lycée, les élèves sont super violents et pour un rien, parce qu’ici il y a beaucoup de violence, les élèves sont super nerveux, ils tapent sur tout ce qui bouge », « moi j’ai peur dans ce lycée, on te menace tout le temps ». Nous avons pu constater lors des entretiens une certaine conformité avec la violence : « on pourrait conclure deux choses, l’agression physique ou la violence physique et la violence verbale, parce que les deux on les utilise tout le temps, et on s’en rend même pas compte, parce qu’ici la violence, les insultes vulgaires c’est tous les jours, mais il y a aussi le manque de respect, ici personne ne te respecte, si tu ne te défends pas, on te marche dessus tout de suite », « c’est devenu quelque chose de normal la violence ici, c’est préoccupant quand même, on n’y peut rien, c’est normal de voir une bagarre ou quelque chose du genre, on se dit : c’est tous les jours la même chose, qu’est-ce qu’on peut y faire ? c’est comme ça ! ».
Quand on demande aux élèves quelles sont leurs expériences personnelles de violence scolaire, s’ils ont été un jour agressé, beaucoup d’entre eux répondent : « moi, je suis violent pour me défendre, pour qu’on me respecte, quand ils dépassent les bornes, il faut bien réagir ». Donc être violent, ou se défendre, est devenu obligatoire si l’on veut survivre dans un milieu hostile. On peut le constater clairement dans ces propos : « je suis une personne pacifique, je n’aime pas la violence, mais mes camarades c’est autre chose, et comme moi je ne suis pas habitué à la violence, et comme ils passent leur temps à se taper dessus, je suis bien obligé de survivre parce que je ne pourrais pas survivre si je les laisse me taper dessus tout le temps ».
Bref, selon notre étude, le sentiment de vivre dans un espace très violent est presque statistiquement deux fois plus présent que le sentiment d’être directement impliqué dans la violence. Ainsi, la question de la violence s’oriente davantage vers la perception du climat social et émotionnel de l’établissement ainsi que la signification de la violence. L’analyse des entretiens renforce ce diagnostique : les jeunes tendent à considérer que leurs expériences scolaires sont assez conflictuelles même s’ils ne se considèrent pas comme des victimes directes de la violence à l’école, et encore moins comme agresseurs.
UN TAUX DE MULTI-VICTIMISATION TRANSVERSAL SOCIALEMENT QUI S’OPPOSE A UNE PERCEPTION INEGALE DU CLIMAT SCOLAIRE.
Un second paradoxe fait référence aux résultats statistiques de l’analyse comparative des taux de victimisation et de climat scolaire selon le niveau socioéconomique des élèves. Bien que le taux de multi-victimisation soit transversal socialement, c’est-à-dire que les élèves des écoles populaires ne présentent pas de victimisation plus fréquente que les jeunes de familles aisées, la perception du climat scolaire est inégale. Les lycéens des établissements publics populaires perçoivent un climat social significativement plus détérioré que les lycéens des écoles privées favorisées.
Le problème des inégalités sociales dans la scolarité représente un thème très récurrent dans les entretiens avec les élèves des lycées les plus défavorisés. Ils ont identifié plusieurs dimensions de ce qu’ils considèrent comme une « injustice sociale ».
Les élèves perçoivent clairement les profondes différences entre la scolarisation dans un lycée payant et un établissement municipal gratuit ou « un lycée pas cher ». Deux stéréotypes de lycées apparaissent dans les entretiens avec les élèves, l’un étant exactement l’inverse de l’autre. Le premier concerne les lycées publics populaires. Les lycéens dénoncent avec force la dégradation matérielle et humaine que soufre le système éducatif public : vitres cassées, infiltration d’eau dans les salles de classe, « professeurs taxi » (qui doivent cumuler plusieurs emplois pour finir les fins de mois). Les établissements municipaux montrent de grandes difficultés à accueillir une population juvénile de plus en plus nombreuse et de moins en moins proche de la culture scolaire traditionnelle. Selon le témoignage des jeunes tant de lycées privés que publics, la résolution de conflits y est souvent violente et les élèves présentent un haut niveau d’agressivité. Un lycéen raconte que « ici, les coups de points volent, il leur faut un rien pour péter les plombs », ce qui n’est pas le cas, selon les élèves interviewés, des « lycées pour riches ».
Même si les jeunes condamnent à l’unanimité l’usage de la violence, quelques uns admettent que les bagarres servent aussi à passer le temps : « les bagarres… ça nous change un peu du quotidien, c’est amusant, ça coupe la routine, parce qu’ici on s’ennuie à mourir ». Cette violence fait écho à ce que la chercheuse française Catherine Blaya (en col. avec C. Hayden, 2003) appelle « l’école de l’ennui ». Les mauvaises conditions de scolarisation, le manque d’éducation intégrale et les relations tendues avec les adultes de l’établissement contribuent à la perte de sens de la scolarité. Les bagarres ont par conséquent une fonction de décharge émotionnelle tant individuelle que groupale, véritable « catharsis collective » selon l’expression d’un élève.
Les résultats de l’enquête statistique confirment la perception de la part des lycéens d’une intense inégalité sociale des conditions de scolarisation, entre les établissements privés et publics. La différence entre les taux de perceptions du niveau de la violence chez les élèves favorisés et défavorisés est statistiquement significative : les lycéens défavorisés socialement présentent une tendance à considérer le climat scolaire de manière plus négative que les élèves du secteur privilégié. Cependant, les taux de multi-victimisation des lycéens sont statistiquement très proches, c’est-à-dire que selon leurs propres déclarations, les élèves des établissements défavorisés ne subissent pas de plus fréquentes agressions directes ou indirectes que les élèves favorisés.
Ce paradoxe dans les résultats statistiques du questionnaire est aussi présent dans le discours des élèves. Pour tous les lycéens interviewés, la violence et la mauvaise qualité du climat scolaire sont effectivement plus intenses dans les établissements publics défavorisés, néanmoins aucun élève des entretiens ne se déclare victime directe et fréquente de la violence scolaire.
Comment interpréter ces deux paradoxes ? Il semblerait que le fait d’être victime d’agressions à l’école ne soit pas associé à la perception de vivre dans un monde scolaire violent. Pour comprendre et interpréter ces dimensions de la violence scolaire, il est fondamental de poser son attention sur la figure du flaite.
LE MODELE RECURRENT ET REFERENTIEL DE LA FIGURE DU FLAITE, QUI S’OPPOSE A SON EXISTENCE DIFFUSE : LE FLAITE EST L’AUTRE.
Dans tous les entretiens réalisés, une figure juvénile apparaît comme « symbole de la violence » : il s’agit du flaite. L’origine sociolinguistique du mot flaite est inconnue mais on peut supposer qu’il provient du substantif et verbe anglais « flight », c’est-à-dire vol et voler, étant donné que les lycéens signalent que les flaites sont connus pour leur habitude d’être toujours drogués.
Les étudiants distinguent clairement deux types de jeunes : les « sympas » et les « flaites ». Les premiers, auxquels s’identifient presque tous les lycées interviewés, présentent un comportement calme ; ils utilisent la violence comme dernier recours, pour se protéger et non pour attaquer. Ces caractéristiques, qui nous parlent de l’image de soi, sont estimées positives par les jeunes. Alors que les « autres », les « flaites » bien qu’ils soient peu nombreux, sont jugés responsables de la stigmatisation injuste dont souffre la jeunesse actuelle. Leur attitude agressive en fait les utilisateurs habituels de la violence, situation dont ils se sentent fiers, selon les lycées des entretiens. A première vue, la violence apparaît dans les relations de pouvoir qui s’installent dans les groupes ; les « flaites » joueraient le rôle de dominants, et donc les « sympas » celui des dominés.
Il est intéressant de relever la récurrence de l’expression « se croire » (« les flaites se croient supérieurs aux autres ») qui renvoie à la confiance en soi et à une auto-estime positive, mais aussi à la prétention d’être quelqu’un de faux, de pas authentique. En d’autres termes, la soi-disant supériorité des « flaites » serait une illusion et leur pouvoir un mensonge. C’est quelque chose qui manifestement ne se produit pas avec les « sympas » qui eux assumeraient avec humilité et réalisme leur statut d’enfants et d’innocents, mais non pacifiques car quand il s’agit de se défendre, ils ne fuient pas mais se battent et quand c’est nécessaire utilisent des méthodes violentes.
Ce qui précède, bien que ces figures juvéniles puissent paraître caricaturales, nous informe sur l’interprétation que les personnes interrogées ont construit autour de la violence, entendue ici comme de l’agressivité. Cette interprétation est assez proche du bullying. Avant tout, la violence est à la portée de tous ; personne n’est qualifié de « violent », personne n’est ou n’est pas violent. Cependant, les jeunes flaites présenteraient une altération dans l’usage de la violence, le problème se situerait dans les limites et l’intention de la violence. Ils ne l’utilisent pas modérément comme autodéfense ou protection des dangers extérieurs, mais attaquent et envahissent le territoire d’autrui sans aucun contrôle, pour gagner du pouvoir, en confondant le respect avec la peur. C’est justement dans cette confusion, cette erreur de compréhension, que les personnes interrogées situent la violence des flaites.
Il existerait donc deux types de violence pour les élèves : la première est justifiable parce qu’elle renvoie à une réaction de défense et la seconde, considérée comme étant pire que la première, est injustifiable et intolérable car elle est souvent gratuite, brutale et a tendance à devenir un comportement banal chez certains jeunes.
Ces paradoxes ne sont pas des réponses déconnectées, incohérentes, produit de l'hasard, mais des dimensions de la discontinuité du phénomène de la violence. Ils dépassent la méthodologie traditionnelle de l’analyse des recherches sociales sur la violence, ce qui rend ces paradoxes très difficiles à interpréter, même quand ils sont statistiquement significatifs.
Pour finir, ces paradoxes montrent très bien qu’on ne peut saisir les « vrais » protagonistes de la violence (tant les agresseurs que les victimes), car les jeunes indiquent comme responsable de la violence « l’autre », toujours absent, toujours en dehors de l’enceinte scolaire, mais toujours présent dans l’espace symbolique de l’école.

REFLEXIONS FINALES
La conclusion fondamentale de cette recherche est qu’il existe au Chili une violence proprement scolaire, qui ne se réduit pas à la reproduction dans l’espace scolaire des violences sociales. Le sens de la violence scolaire n’est pas homogène « parce que la violence n’est pas seulement un mot, mais un événement de la subjectivité humaine » (Flores, 2005). A partir de cette subjectivité, nous avons dévoilé deux noyaux de sens de la violence scolaire que nous considérons intimement liés aux inégalités sociales de scolarisation.
La tendance chez les élèves enquêtés de se détacher personnellement de la violence, de la considérer comme celle d’un autre, fait partie du besoin de récupération subjective dont chaque être humain fait l’expérience face à l’adversité. Le « flaite » symbolise pour les étudiants du secteur défavorisé comme pour celui favorisé, la violence juvénile. Néanmoins, à aucun moment nous avons pu l’identifier comme une personne, comme un individu. C’était pour les élèves plus une « attitude » qu’un élève en particulier. Dans ce sens, le « flaite » est ce que Castoriadis (1975) interprète comme une figure de l’imaginaire sociale, une figure institutionnalisée para le magma de significations sociales. Les réseaux de significations sociales créent la figure imaginaire du « flaite » et simultanément celui-ci crée le sens du phénomène de la violence juvénile. Le « flaite » n’est pas un moi-individu, c’est un moi-imaginaire dans lequel se croisent les significations subjectives et sociales de la violence.
La figure du « flaite » est très significative pour les jeunes chiliens, elle condense la violence et permet la récupération subjective. C’est-à-dire que, dans un monde où les élèves perçoivent une augmentation notable de la violence, une violence souvent difficile à comprendre, le « flaite », bien que protagoniste actif, est objet de violence, il est aussi modelé par et pour la violence. Les élèves récupèrent symboliquement la certitude de ne pas être un corps-objet de violence mais un corps-sujet dans la violence. Ils ne se considèrent pas victimes personnelles d’agression, mais sujets pleins, dans un monde de violence. De là, l’insistance chez les élèves des entretiens à souligner que bien qu’il y ait beaucoup de violence, eux-mêmes n’y participent pas, ou ils ne font que se défendre.
La forme de ces paradoxes est très importante pour comprendre la dimension de la subjectivité et le sens de la violence scolaire. Tout d’abord, il faut convenir que, suivant les observations de la violence scolaire, le phénomène de la violence scolaire est inséparable de la relation entre la qualité du climat scolaire et la victimisation.
Les deux premiers paradoxes font face aux fluctuations des perceptions et de la subjectivité des acteurs. Dans le premier paradoxe, se détache la présence systématique de conflits dans l’expérience scolaire, ce qui ne signifie pas une association directe ni nécessaire avec un degré important de victimisation. Ce premier paradoxe présente donc le dépassement d’une logique linéaire ou proportionnelle entre des causes et des effets du problème. Les sentiments ne se trouvent pas au même niveau d’analyse, bien qu’une révélation de ce genre procède aussi de l’application de techniques méthodologiques différentes que nous avons exprès mis en œuvre.
Le deuxième paradoxe montre que, en confrontant deux groupes sociaux inégaux, il existe une dimension transversale dans le phénomène, qui fait référence au degré de la victimisation des élèves. Or, cette transversalité est inégale si l’on croise la variable de perception du climat scolaire qui apparaît hautement détérioré dans le secteur le plus pauvre. Cet aspect n’est pas paradoxal en soi et l’on pourrait l’interpréter comme une conséquence « naturelle » de la précarité dans laquelle vivent ces jeunes. Il s’agit donc d’une tension qui se produit entre un sentiment de violence subie (la victimisation) et la perception de la violence vécue, qui sans aucun doute excède les limites de l’école et qui incluse globalement la situation familiale et l’expérience quotidienne de vivre dans un quartier marginal.
Le troisième paradoxe est celui qui présente le plus grand degré de charge symbolique, dans la mesure où il n’est pas seulement le résultat de lectures méthodologiques diverses, mais aussi une tension qui se produit entre un sujet à la fois présent et absent, un icône visible mais apparemment invisible à l’école. Le « flaite », ce jeune marginal, semble condenser un certain idéal social qui attire même des jeunes du secteur social privilégié (García, 2005).
La complexité de la violence rend difficile une interprétation du phénomène « flaite » comme une réponse ou une possibilité de donner du sens à la violence scolaire, ou bien est-il le centre de ses figures et manifestations les plus significatives. Si la violence à l’école aurait une seule origine, il faudrait la situer comme expression de l’exclusion sociale, affective et existentielle des acteurs et non simplement de la condition sociale de pauvreté.
La violence est toujours une action subjective et sociale ; son « lieu » (ethos) est plus ambigu qu’à d’autres époques, parce que la violence scolaire n’apparaît pas nécessairement liée à un projet politique de revendication sociale. L’antichambre du phénomène n’est plus une idéologie, mais un ensemble de sentiments orientés par des processus volontaristes et individuels d’insatisfaction non déclarée contre l’institution scolaire. Ces sentiments laissent entrevoir que les acteurs de la violence manifestent des besoins anthropologique tant de reconnaissance que d’affirmation et, surtout, de sens.


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Read also

> Summary
> 1 - Pour une approche contextuelle de la violence. Le rôle du climat d'école.
> 2 - Violences sportives, milieux sociaux et niveaux scolaires. Distribution "socioculturelle" des formes de violence dans le champ des pratiques sportives de terrain.
> 4 - A meta-synthesis fo completed qualitative research on learners' experience of aggression in secondary schools in South Africa.
> 5 - Managing and handling indiscipline in schools. A research project.


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